27 juillet 2025

Gaza se meurt, les États n’ont rien fait



« Nous avons laissé tomber les Palestiniens »

lettre de Camille Marquis-Bissonnette

vice-présidente de la Société québécoise du droit international

publiée dans Le Devoir,

le 26 juillet 2025 


« Ainsi « les habitants de Gaza ne sont ni morts ni vivants, ce sont des cadavres ambulants », résumait Philippe Lazzarini, chef de l’UNRWA, le 24 juillet 2025. Désormais, 100 % de la population de Gaza est à risque de mourir de faim de manière imminente. Ça y est, donc. Après près de 22 mois de lutte, de survie, d’inhumanité, Gaza se meurt. Achève de se mourir. Quand je dis « Gaza », en fait, je veux dire deux millions de Palestiniens qui meurent — littéralement — de faim et de soif ces jours-ci à cause de notre inaction ; je veux dire un territoire symbolique et précieux, bien qu’amputé, qui est enlevé aux Palestiniens par Israël. Devant les yeux de tous les autres États qui n’ont rien fait pour l’en empêcher, complices.


« Sous prétexte d’éradiquer les terroristes, Israël a systématiquement et méthodiquement détruit les installations civiles. Les hôpitaux, les écoles, les universités, les maisons, les appartements, les infrastructures sanitaires, la centrale électrique. Il a d’abord empêché les biens essentiels — eau, électricité, essence, nourriture, matériel médical, etc. — d’entrer sur le territoire, puis a retiré la possibilité qu’une assistance humanitaire qualifiée, neutre et impartiale distribue de l’aide à Gaza. Il a tué un nombre record de journalistes, de membres du personnel médical et d’humanitaires. Il a déplacé tout le monde, plusieurs fois.


« Récemment, devant la pression internationale, il a mis sur pied une organisation faussement humanitaire pour la distribution de vivres ; une occasion chaque jour de déplacer la population et de la massacrer. Il a traité les individus qui ont élevé leur voix contre ces horreurs, ces injustices, ces illégalités de terroristes ou d’antisémites. Cette dernière étiquette a collé et résonne dans nos cégeps, dans nos universités, dans celles de partout dans le monde, dans nos médias et mène à l’autocensure, à la réserve, à une prudence et à des nuances qui ne siéent pas à l’urgence et à la disproportion de la réalité.


L’inaction des États

« L’Afrique du Sud a soulevé une plainte pour génocide devant la Cour internationale de justice. En attendant de statuer sur le fond, celle-ci a notamment demandé à Israël de laisser enter plus d’aide et de respecter le droit international humanitaire à Gaza. Israël n’a pas obtempéré et les États n’ont rien fait pour le lui enjoindre.


« Des milliers d’experts, des centaines d’organisations humanitaires ou de défense des droits de la personne, tous les organes spécialisés des Nations unies ont élevé leur voix, nommé, dénoncé, alarmé. Les États n’ont rien fait.


« La Cour pénale internationale (CPI) a lancé un mandat d’arrêt  contre le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant que 125 États, ceux qui sont membres de la CPI, ont l’obligation d’appliquer. Nétanyahou a, depuis, visité une fois la Hongrie — pays membre, même s’il a annoncé son retrait à ce moment — et trois fois les États-Unis — pays non membre — sans être dérangé. Les États-Unis, en représailles contre l’action de la Cour dans la situation palestinienne, ont plutôt imposé des sanctions (gels d’avoirs et interdictions de territoire) qui touchent notamment Karim Khan, le procureur de la Cour, et Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés.


Des citoyens du monde ont marché, signé des lettres et des pétitions pour s’opposer, pour dénoncer, pour implorer leur pays d’agir. Ils ont mis en place des marches, des flottilles humanitaires pour défier le blocus israélien. Israël et ses alliés les ont traités d’antisémites. Les États n’ont pas bougé pour les défendre, pour les soutenir, pour les entendre. Ils ont continué d’armer Israël, de le soutenir, en l’incitant doucement, de temps à autre, à respecter le droit international humanitaire et à laisser plus d’assistance entrer à Gaza.


« Nous sommes du mauvais côté de l’histoire. Peu importe l’étiquette juridique que nous y mettrons a posteriori, nous n’aurons pas empêché l’inhumain de se produire en Palestine. Nous n’aurons pas protégé Gaza, comme nous ne protégeons pas la Cisjordanie — que le Parlement israélien a appelé le gouvernement à annexer officiellement, mercredi — devant l’évidence de l’effacement.


Nous n’aurons pas respecté la promesse que l’humanité s’était faite à elle-même après l’Holocauste, « plus jamais ». Malgré l’évidence, malgré les preuves, nous avons laissé tomber les Palestiniens, la Palestine. Cette fois, face à l’histoire, nous ne pourrons plaider l’ignorance. La lâcheté, la peur, la culpabilité de l’Holocauste, la loi du plus fort, l’appât du gain, peut-être, mais pas l’ignorance. Nous avons vu un peuple se faire massacrer, un territoire arraché par la force et l’horreur. De toutes les manières possibles. Toutes insoutenables, inhumaines. Chaque jour, depuis 657 jours. Et aujourd’hui, Gaza se meurt. Et la Palestine tout entière avec elle.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire