31 mai 2025

Qui a peur du mot génocide ?


« Le journal L’Humanité a décidé de le mettre en une la semaine dernière. Libération a publié la lettre de 300 auteurs y ayant recours. Les représentants mondiaux d’Amnistie internationale l’emploient tous les jours. Le général Roméo Dallaire ne fait aucun détour. Plus de 900 avocats et anciens juges britanniques l’ont brandi cette semaine.

« L’utilisation du mot génocide pour parler de la situation à Gaza se répand de plus en plus.


« À un point tel qu’il est en train de devenir un marqueur politique. Dans plusieurs cercles progressistes, reconnaître l’existence d’un génocide commis par Israël contre les Palestiniens de Gaza, et ce, même si aucun tribunal international n’a statué sur la chose, c’est être du côté de la vertu, du courage. À l’inverse, refuser de l’employer, c’est de la lâcheté, voire de la complicité avec le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou.


« Mais la pression ne vient pas que de là. Dans les cercles pro-israéliens, l’utilisation du terme est vue comme une hérésie. Une insulte profonde à l’histoire des Juifs qui ont subi l’Holocauste et dont les plus profondes blessures ont été ravivées par les attaques du Hamas du 7-Octobre.


« Entre les deux, un immense fossé.


« En principe, c’est la Cour internationale de justice (CIJ), saisie par l’Afrique du Sud en décembre 2023, qui a la responsabilité d’établir si Israël commet un génocide selon les termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, s’il faut se fier au passé, cette cour mettra de nombreuses années à trancher sur le fond de la question.


« Le tribunal a cependant trouvé assez de raisons de s’inquiéter pour imposer à l’État hébreu trois séries de mesures conservatoires – en janvier, mars et mai 2024.


« Ces dernières, qui ordonnent notamment à Israël de mettre fin à ses opérations militaires à Gaza, ont été largement ignorées par le pays visé, sans grande conséquence. Les mandats d’arrêt lancés contre le premier ministre Benyamin Nétanyahou2 et contre l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant3, qui sont suspectés de « crimes de guerre consistant à affamer délibérément des civils » et de crimes contre l’humanité « de meurtres, de persécutions et d’autres actes inhumains », restent lettre morte.


[...]


« De plus en plus de voix, auxquelles j’ajoute la mienne, demandent qu’on reconnaisse l’extrême gravité de la situation et qu’on agisse en conséquence.


« Parce qu’une fois qu’on a dit le mot génocide, qu’est-ce que ça change ? Rien et tout, en même temps.


« Rien, parce que les avertissements qu’ont émis les tribunaux internationaux, les Nations unies et les grandes organisations humanitaires et des droits de la personne auraient dû suffire à faire passer les gouvernements occidentaux, alliés d’Israël, à l’action. Mais nous n’avons vu que des mises en garde timides à ce jour, dont le dernier coup de semonce du Canada, de la France et de la Grande-Bretagne.


« Tout, parce que les pays qui ont signé la Convention sur les génocides sont tenus légalement d’agir pour les prévenir ou pour les arrêter, sans quoi ils peuvent être tenus responsables lors d’un éventuel procès. Et cette obligation d’agir peut prendre plusieurs formes. Suspendre les liens diplomatiques et les ententes avec Israël, mettre fin à tout transfert d’armes, sanctionner les individus et les organisations qui ont un lien avec les crimes reprochés. Même une intervention militaire pour faire cesser le carnage doit être envisagée.


« Je sais, ce sont des responsabilités lourdes pour les gouvernements, liées à l’utilisation du mot génocide, mais les conséquences de ne rien faire ou de n’en faire pas assez sont beaucoup plus graves. »


Extraits de la chronique intitulée

Est-il temps de parler de génocide ?


Laura-Julie Perreault

La Presse

Le 31 mai 2025

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