« On a beaucoup insisté sur la stupidité économique des tarifs mondiaux de Donald Trump.
« Mais le président a-t-il seulement le droit de décréter des tarifs « mondiaux » du jour au lendemain ? De les faire passer de 145 % à 30 % pour la Chine ? De les annoncer pour le Canada, puis de les réimposer, et de les annuler encore… en les fixant à 10 % pour la potasse et le pétrole, mais à 25 % – voire 50 % s’il met à exécution sa menace de vendredi – pour l’acier et l’aluminium ? En faisant fi des traités internationaux, y compris ceux qu’il a signés ?
« Le Tribunal de commerce international des États-Unis a répondu non de manière retentissante mercredi.
« Les décrets du président à la base des tarifs étaient attaqués par une
douzaine d’États et des entreprises qui importent des biens aux États-Unis.
« Les trois juges ont conclu que Trump a abusé de son pouvoir.
« Pour justifier ces décrets, la Maison-Blanche invoque une loi de 1977, la Loi sur les pouvoirs économiques internationaux d’urgence (IEEPA), qui accorde des pouvoirs extraordinaires au président pour faire face à une crise économique.
« Ce qu’on oublie de dire, c’est que cette loi remplaçait une autre loi similaire que le président Nixon avait utilisée.
« Nixon, en plus de la première crise pétrolière, avait dû faire face à une crise monétaire qui a mené à l’abandon de l’étalon-or pour le dollar américain.
« Le Congrès a jugé que le président était allé trop loin dans ses décisions, et que la loi d’urgence donnait au président des pouvoirs « dictatoriaux ». C’est donc pour limiter ce qu’un président peut faire au nom de l’urgence économique qu’on a adopté l’IEEPA en 1977.
« Car il faut comprendre que c’est le Congrès, pas le président, qui a autorité en matière de commerce. L’IEEPA est une cession temporaire de pouvoir par le Congrès au président, quand une urgence nationale le justifie. Pas quand le président a envie de s’en emparer. De toute manière, la Constitution ne permet pas au Congrès de liquider ses pouvoirs au profit du président.
« Pour qu’un président puisse utiliser ces pouvoirs, il faut respecter certains critères. Il doit y avoir une véritable menace extérieure à la sécurité nationale ou à l’économie américaine. Cette menace doit être « inusitée et extraordinaire ». Il faut enfin que l’urgence nationale déclarée soit logiquement liée à cette menace et que l’action du président réponde à cette urgence.
« Les trois juges concluent que les critères ne sont tout simplement pas respectés.
« Trump a usurpé le pouvoir du Congrès en jouant au yo-yo avec les tarifs mondiaux. Ni les circonstances extraordinaires ni le lien rationnel entre ses actions et la supposée urgence n’ont été démontrés.
« Nous ne disons pas que l’utilisation par le président des tarifs comme outil de négociation est mal avisée ou inefficace, écrit en substance la Cour. La question n’est pas là : ce n’est simplement pas permis par la loi dans les circonstances.
[...]
« L’effet du jugement est suspendu depuis jeudi par une cour d’appel. L’affaire devra être débattue sous peu à nouveau. On devine que la Cour suprême sera éventuellement saisie de l’affaire. Il faudrait tordre la loi pour penser qu’ils sont légaux. Mais ça s’est déjà vu…
« On est donc très loin d’en avoir fini avec le jeu des droits de douane. Il faudra que l’effet économique soit ressenti par les Américains pour que la pression politique augmente au Congrès. Et encore.
« Au moins, dans l’intervalle, on voit que des juges de toutes provenances trouvent le moyen de dire cette évidence : Donald Trump a beau avoir une âme fasciste, il n’a pas les pouvoirs d’un dictateur.
« Ils le font en sachant qu’ils seront attaqués violemment par le président et ses porte-voix, insultés sur les réseaux sociaux, et probablement menacés personnellement.
«Car, incroyablement, il faut maintenant du courage aux États-Unis pour simplement rappeler au président qu’il y a un État de droit.
Yves Boisvert
Extraits de la chronique intitulée:
Ces juges qui osent dire à Trump qu’il n’est pas dictateur
La Presse
le 31 mai 2025, publié à 6 h
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