« Ce n’est pas la première fois qu’un proche de Donald Trump réalise qu’il est un imposteur et le dit publiquement.
« Mais l’explosion disgracieuse de ce couple baptisé « Elonald » par Jimmy Fallon n’a rien à voir avec les congédiements, les démissions et les départs par dizaines dans l’entourage du président lors de son premier mandat.
« Les autres « ex » n’avaient pas le millième de l’impact et de l’importance d’Elon Musk. De l’ancien directeur du FBI à un ex-général quatre étoiles en passant par un haut responsable de la politique étrangère, les dénonciations de Trump n’avaient à peu près pas d’impact.
« Oui, ces congédiés ont donné des entrevues, témoigné au Congrès, écrit leurs mémoires. On les a entendus à CNN ou MSNBC décrire la malhonnêteté du 45e président tel qu’il était à son premier mandat.
« Trump a toujours su contre-attaquer, parfois en déclenchant des enquêtes sur eux. Et à la fin, il a écrasé toute résistance.
« Musk est un animal d’une autre espèce. Il n’est pas seulement l’homme le plus riche au monde. Il est de loin le plus grand contributeur de fonds à la campagne de Donald Trump. On parle d’environ 300 millions. Musk disait « Trump a raison sur tous les sujets » encore en janvier. Il avait dû lire les passages sur les « tarifs » un peu vite…
« Trump le nie maintenant, mais Musk a été indispensable à la reprise de la Maison-Blanche par les républicains, et à plusieurs élections locales.
« Sauf que contrairement aux grands contributeurs passés, une fois l’élection de son candidat accomplie, Musk n’est pas retourné à ses affaires. Il a développé une connivence jamais vue entre un homme d’affaires important et un président américain. Il était le coloc de Trump. Au point d’accorder une entrevue commune avec le président. Au point d’aller faire ce point de presse étrange avec son fils, dans le bureau du président.
« Sa visibilité et son intimité ne ressemblent à rien de ce qu’on a connu. Le vice-président, les secrétaires de l’administration étaient relégués au rang de figurants.
[...]
« Ce qui rend cette querelle particulièrement douloureuse pour Trump, c’est la désormais large intersection de fans de Musk et de Trump. Le patron de Tesla s’est tellement identifié à MAGA, il a tellement joué le jeu qu’il a fini par être officiellement intégré dans la famille trumpienne.
« Les supporteurs sont face à un vrai conflit de loyautés. Alors que le départ d’un John Bolton n’intéressait que les initiés à la politique américaine, celui de Musk devient un évènement qui concerne autant la politique que le showbiz.
« Donald Trump, cette fois, n’a pas vraiment de prise. Ni sur le récit. Ni sur la vie de l’ex.
« Le président menace d’annuler tous les contrats du gouvernement fédéral avec les firmes de Musk. Ah oui ? Parfait, j’annule les vols de ravitaillement de la Station spatiale internationale (SSI), réplique Musk. Il a toutefois semblé faire marche arrière plus tard, écrivant : « Bon, nous n’allons pas mettre Dragon hors service. »
« Mais le problème de Trump demeure que Musk n’a pas été qu’un super-conseiller et un super-démanteleur de l’État fédéral. Ses firmes fournissent aussi des services stratégiques, en télécom, en défense et en aérospatiale. Les sept cosmonautes de la SSI, parmi lesquels trois Américains envoyés par la NASA, dépendent du vaisseau Dragon de Space X…
« Pour une rare fois, un public américain relativement indifférent aux tactiques de Trump devra être attentif.
« Trump dira que Musk n’aime pas son budget parce qu’il largue les subventions pour les véhicules électriques. Depuis quatre ans, Musk répète qu’il ne veut pas de ces incitatifs fiscaux. Trump lui-même l’a confirmé cet hiver.
« Pour ce qui est de la stupidité de la politique des droits de douane, à l’évidence, ça ne fait pas l’affaire de Musk. Ni de la majorité des industriels américains, dont l’approvisionnement est perturbé, imprévisible. Mais Musk n’a pas peur de le dire, et il y a des gens pour écouter.
« Si vraiment une récession s’installe aux États-Unis, on se souviendra du départ de Musk. Il est celui qui n’a pas eu peur de dénoncer cette politique quand les élus se taisaient.
« Cet hiver, pendant les premiers jours de la présidence, alors que Trump signait 15 décrets par jour, on avait demandé au vieux stratège démocrate James Carville de dire ce qui devait être fait pour répliquer à ce torrent.
« Il n’y a qu’à les laisser faire, cette présidence s’écroulera d’elle-même sous le poids de son incompétence, avait-il répondu.
«Cette scène de ménage milliardaire intra-MAGA est la première vraie crise interne depuis six mois dans une Maison-Blanche apparemment très disciplinée. Du moins si on la compare au chaos de la première présidence Trump.
« Est-elle l’un des premiers signes de l’effondrement annoncé ?
« Cette querelle entre deux narcissiques, en tout cas, ne ressemble à aucune autre entre Trump et un ancien proche. Elle touche au cœur du pouvoir du président et… de son ego.»
Extraits de la chronique intitulée
Donald Trump atteint à l’ego
Yves Boisvert
La Presse
le 6 juin 2025
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