« Donald Trump ne ment pas quand il affirme que sa « grande et belle loi » budgétaire va profondément transformer le visage des États-Unis. Mais là où il voit le mot « croissance » partout dans son cher Big Beautiful Bill signé samedi, nombreux sont les observateurs chevronnés à voir se dessiner des reculs à la chaîne. Déficit budgétaire record, carence sociale, dérive démocratique, faillite morale, effondrement économique et défaillance environnementale : il y a dans cette loi de quoi faire perdre pied à une grande puissance en perte de repères.
« Cette loi obèse de près de 900 pages n’est pas mauvaise pour tout le monde au pays de « Daddy Donald ». Si certains s’y accrochent avec autant d’ardeur, c’est justement parce qu’elle prévoit pour eux de juteux profits à encaisser, de même que plusieurs avantages idéologiques à moissonner.
« Si vous souhaitez voir votre fortune croître comme jamais (pour autant que vous en ayez déjà une), le Big Beautiful Bill rend permanentes des réductions de taxes qui se chiffrent en milliards pour les plus riches. Si vous aimez vos frontières étanches et votre bras armé gonflé aux stéroïdes (qu’il soit policier, militaire ou anti-immigration), vous ne manquerez ni de bras ni de moyens pour mettre ignominieusement en scène et des expulsions d’immigrants.
« Si « drill, baby, drill » est votre mantra préféré et que les énergies vertes vous donnent des poussées d’urticaire, c’est le temps de ranger la calamine : vous n’en aurez plus besoin. Le Big Beautiful Bill a de quoi étouffer dans l’œuf tout appétit, même petit, pour la transition énergétique.
« Cette loi permettra non seulement au gouvernement Trump de dépenser sans compter dans les champs qu’il juge cruciaux, mais aussi de le faire sans aucun état d’âme. Cette loi n’a en effet aucun scrupule à enlever du pain de la bouche de milliers d’États-Uniens inscrits à l’aide alimentaire pour financer les idées de grandeur du président. Ni à priver de soins jusqu’à quelque 17 millions de personnes vulnérables en soumettant le programme public d’assurance maladie Medicaid à une cure minceur forcée et en fermant des dizaines d’hôpitaux ruraux.
« Même avec des compressions aussi draconiennes et l’apport de ses « très chers tarifs douaniers » bonifiés, Donald Trump alourdira le déficit de plus de 3000 milliards au cours des 10 prochaines années, calcule prudemment le Bureau budgétaire du Congrès américain. Avec un dollar en baisse et des intérêts en hausse, nombreux sont les républicains qui ont dû se boucher le nez pour avaler une pilule qu’ils auraient normalement recrachée avec dégoût.
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« C’est que nous entrons de plain-pied dans une ère où la voracité des intelligences artificielles fera exploser les demandes en énergie. Ceux qui se sortiront le mieux de cette course seront ceux qui auront trouvé le moyen de produire de l’électricité en grande quantité, à moindre coût et à partir de sources renouvelables, affirme Thomas L. Friedman, triple lauréat du prix Pulitzer, pour une rare fois au diapason avec l’homme le plus riche de la Terre.
« « Entendez-vous ce rire tonitruant venu de l’est ? » demandait récemment le journaliste dans une chronique bétonnée parue dans le New York Times du 3 juillet dernier.
« C’est celui de 1,4 milliard de Chinois qui rient aux dépens des États-Unis. »
Nick Nigro, d’Atlas Public Policy, partage sa lecture. Dans un entretien récemment paru dans le Wall Street Journal, il disait redouter qu’on en vienne à voir le jour de la ratification du Big Beautiful Bill comme « le moment où les États-Unis ont perdu la bataille de la transition vers l’énergie propre ».
« Fort de ses succès souvent obtenus par la force — l’accord sur les dépenses de l'OTAN, celui entre Israël et l’Iran, la décision de la Cour suprême favorisant le pouvoir exécutif face au judiciaire, la mise au pas du FBI … —, Donald Trump en mène si large que sa « grande et belle loi » budgétaire a fini par arborer ses traits les plus détestables. Inégalitaire jusqu’à l’injustice, atrabilaire jusqu’à la revanche et préhistorique jusqu’à l’aveuglement, elle annonce une Amérique — la sienne, mais aussi la nôtre, avec cette détestable guerre économique qui n’en finit pas de déteindre sur notre climat politique — plus instable que jamais.»
Extraits de l’éditorial intitulé
Une grande et belle dérive
Louise-Maude Rioux Soucy
Le Devoir
Le 8 juillet 2025
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