«Quand des figures publiques sont attaquées, notre réaction instinctive est souvent de nous diviser encore davantage. La fusillade qui a visé Charlie Kirk mercredi a déjà déclenché des vagues d’indignation, de blâme et de récupération politique. Certains y voient une atteinte à la démocratie, d’autres considèrent cela comme la conséquence inévitable d’une rhétorique polarisante. Dans la précipitation pour expliquer ou condamner, nous risquons de perdre de vue quelque chose de plus essentiel : notre humanité commune.
« En tant que chercheuse ayant passé des années dans un laboratoire qui étudie l’empathie et le développement prosocial, je nous invite à envisager ce moment autrement. L’empathie n’est pas qu’un idéal abstrait : c’est une disposition profondément humaine, visible dès le plus jeune âge. Les tout-petits aident spontanément ceux qui sont en détresse, et dès l’âge préscolaire, les enfants réclament déjà justice et coopération. Ces comportements sont les fondations de nos sociétés, le ciment qui permet à nos communautés de fonctionner.
« Pourtant, l’empathie est souvent la première victime quand nous en avons le plus besoin. Face à la menace, aux différences ou aux conflits moralement chargés, elle se rétrécit. Nous traçons des frontières entre « nous » et « eux », et une fois ces lignes établies, la compassion pour l’autre devient plus difficile à mobiliser. Dans un contexte polarisé, ce phénomène s’accentue : la souffrance de quelqu’un du « camp opposé » peut paraître moins réelle, moins urgente, voire injustement méritée.
« Pourtant, c’est justement dans ces moments-là que l’empathie devient radicale et indispensable. Choisir l’empathie ne signifie pas approuver les idées politiques de Charlie Kirk ni nier le tort que sa rhétorique a pu causer. Il ne s’agit pas d’un individu : il s’agit de nous, de nos sociétés et du chemin que nous empruntons. Cela signifie reconnaître que la violence envers une personne nous entraîne tous dans un cycle où peur et représailles remplacent dialogue et réparation.
« L’empathie n’est pas figée : elle se cultive, se développe et se renforce. Des programmes qui encouragent les enfants à adopter le point de vue d’autrui, même brièvement, montrent des résultats concrets sur leurs comportements prosociaux. Les adultes ne font pas exception : écouter des perspectives différentes, dialoguer sincèrement et s’exercer intentionnellement à comprendre l’autre peut réduire des divisions profondément ancrées. Ce ne sont pas des solutions miracles, mais ce sont des moyens fondés sur la recherche pour revenir à nos meilleurs instincts.
« Alors, comment choisissons-nous d’avancer ? Cet événement sera-t-il une brique de plus dans le mur de la polarisation, consolidant nos divisions ? Ou pourra-t-il nous rappeler que la violence déshumanise tous ceux qu’elle touche ; que notre sécurité, notre dignité et notre avenir commun dépendent de notre capacité à résister à la tentation de déshumaniser ceux avec qui nous sommes en désaccord ?
« L’empathie ne résoudra pas nos conflits politiques. Mais sans elle, il n’y a plus aucun terrain solide pour s’appuyer. En tant que chercheurs, enseignants, citoyens et voisins, nous devons résister au réflexe de transformer la tragédie en arme. Le véritable défi ne consiste pas à savoir ce que nous ressentons envers une figure controversée. Il consiste à savoir si nous pouvons résister assez longtemps à la polarisation pour nous rappeler que notre survie en communauté dépend de notre capacité à nous voir comme humains.
« Si nous échouons, nous perdons non seulement de vue l’humanité de Charlie Kirk, mais aussi la nôtre. »
Lettre d’opinion intitulée
Face à la violence, pouvons-nous encore choisir l’empathie ?
Maxine Iannuccilli
psychologue chercheuse et professeure à l’université Concordia
Le Devoir
le 12 septembre 2025
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