Doug Ford va donc retirer la pub ontarienne qui a tant fâché Donald Trump. Mais qui pense vraiment que les négociations commerciales Canada–États-Unis sont annulées à cause d’une publicité?
« C’est possible, remarquez. On a vu d’autres sautes d’humeur irrationnelles du 47e président.
« Comme quand, sans avertissement, il a infligé des droits de douane à l’Inde parce qu’elle achetait son pétrole de Russie. Était-ce le vrai motif, ou une punition parce que le premier ministre indien Narendra Modi avait dit que Trump n’avait rien à voir avec le traité de paix entre son pays et le Pakistan, et ne méritait pas le prix Nobel de la paix pour ça ?
«Mais le plus important n’est pas la susceptibilité du président. C’est l’impossibilité de prédire son comportement. Et donc de négocier.
« Il importe peu que ce soit un trait de caractère ou une tactique de négociation pour déstabiliser l’autre partie – l’adversaire, l’ennemi…
« Ce qui importe est de mieux réaliser que notre meilleur allié n’est plus fiable.
« L’autre réalité que plusieurs font semblant d’ignorer, c’est que le Canada n’a pas un grand pouvoir de négociation à court ou moyen terme. L’énorme économie américaine montre quelques impacts négatifs de la politique tarifaire déréglée du président. Mais elle peut absorber beaucoup de chocs sans trop souffrir globalement.
« Ce n’est pas le cas du Canada. Déjà, les exportations sont en baisse et plusieurs secteurs économiques souffrent des politiques de Trump. Ça paraît.
« Les partis de l’opposition à Ottawa ont raison de dire que Mark Carney n’a obtenu que des tapes dans le dos et un changement de ton de Washington jusqu’ici. Concrètement, il n’a rien à montrer aux Canadiens.
Mais j’aimerais bien savoir des génies de la négociation ce qu’ils feraient à la place de Carney. Quel est le plan ?
« Les Britanniques ont joué la flatterie et l’obséquiosité. Keir Starmer, premier ministre du Royaume-Uni, a remis solennellement une lettre d’invitation du roi, du jamais vu, a-t-il souligné. Malgré le tapis rouge et les petits fours au château de Windsor, on attend toujours une entente sur l’acier entre les deux pays.
« D’autres jouent dur, comme la Chine, qui a cessé d’acheter le soya américain – des ventes de 12 milliards l’an dernier. Le pays ira s’approvisionner au Brésil. Comme les capacités de stockage sont insuffisantes, ça risque de devenir des pertes sèches pour les fermiers américains.
« Dans le cas du Canada, ce serait quoi, la stratégie géniale ? Il n’y en a tout simplement pas. À partir du moment où le président américain a décidé de mettre à genoux son meilleur partenaire économique, aucune « tactique » ne peut l’en empêcher. On ne peut que se préparer, chercher des plans B.
« J’ai dit qu’à court et moyen terme, la présidence américaine détient tous les leviers. Mais ce que Ronald Reagan avait compris, c’est qu’à terme, le libre-échange profite à tous les partenaires. Ça ne veut pas dire qu’il n’a pas fait de victimes. Le choc de la désindustrialisation et des délocalisations d’entreprises a été sous-estimé, longtemps ignoré. Il n’empêche que les États-Unis, globalement, se sont enrichis énormément avec la mondialisation. Ce n’est pas pour rien qu’ils en étaient les principaux promoteurs.
« Contrairement à ce que dit Donald Trump, la pub ontarienne ne travestit pas du tout la pensée de Ronald Reagan. La vidéo complète de son intervention le prouve d’ailleurs. Il faut être menteur ou d’une ignorance crasse, et Trump est les deux à la fois, pour dire que Reagan « adorait les droits de douane pour notre pays et sa sécurité »
« Sous Reagan, c’était le Congrès démocrate qui était protectionniste. À court terme, disait-il, ça peut sembler un geste patriotique que d’imposer des droits de douane. Mais au bout d’un certain temps, l’économie se contracte, les marchés souffrent, des usines ferment, des millions d’emplois sont perdus.
« Reagan, qui avait vécu la Grande Dépression des années 1930, a cité l’exemple le plus dramatique de protectionnisme : la Loi Smoot-Hawley. Adoptée sous le président Herbert Hoover en 1930, elle visait à « protéger » les entreprises américaines par l’imposition de droits de douane massifs. Elle a empiré la crise. C’est devenu un cas d’école, un classique économique de la chose à ne pas faire.
« Trump, qui n’est pas absolument ignorant, a déjà dit qu’il ne voulait pas être un Herbert Hoover… Un nom qui résonne encore comme un synonyme d’incompétence.
« On comprend pourquoi cette pub pince là où ça fait mal, d’autant que Reagan est un président républicain révéré, et encore plus aujourd’hui qu’à son départ en 1989.
« Que faire alors ? Continuer patiemment à négocier ce qui peut être négocié. Se préparer à encaisser et à vivre des impacts sérieux, en soutenant les industries les plus touchées. Et développer de nouveaux marchés, ce qui est toujours plus facile à dire qu’à faire. Tous les marchés asiatiques sont intéressants, mais on est quand même adossés au plus gros marché de consommateurs au monde, dans la plus grande économie. Les routes, les ports, les voies ferrées, tout nous dirige vers le Sud si près.
« Ce n’est pas demain la veille qu’on remplacera cette « vieille relation », dont Mark Carney a constaté le décès.
« Le Canada ne fait pas que vendre aux États-Unis. Il achète. Et si l’on exclut le pétrole, la balance commerciale canadienne est négative. L’intérêt américain est aussi de conserver le marché canadien. Demandez aux fabricants de bourbon du Kentucky…
« On n’est pas obligés d’être stupides et de continuer à acheter des voitures Stellantis ou GM. Ce n’est pas par grandeur d’âme que les grands de l’auto ont installé des usines au Canada. C’est parce qu’ils y vendent des véhicules. Mais il y a des solutions de rechange, et on peut aussi voter avec ses pneus.
« Ce n’est pas non plus par « fraude » ou parce qu’ils sont naïfs que les entreprises américaines achètent notre aluminium. C’est parce qu’il est bon marché. S’ils n’en veulent plus, c’est un gros problème. Mais le prix international augmente et il y a d’autres acheteurs dans le monde.
« Bref, le Canada n’est pas totalement démuni. Mais soyons lucides, il n’a pas de pouvoir de négociation devant un intimidateur qui a les moyens de son intimidation.
« Aux yeux de Donald Trump, les droits de douane sont « vitaux » pour son pays.
« Peut-être en partie du bluff, ou un outil de négociation. Mais c’est aussi une conviction économique profonde. Il a d’ailleurs annoncé son intention d’assister en personne à l’audience en Cour suprême des États-Unis, le 5 novembre, de la cause sur la légalité de ses droits de douane, du jamais vu à l’époque moderne.
« Pour l’instant, donc, devant un président intempestif, malhonnête et sans opposition, quel coup fumant de négociation le Canada peut-il réaliser ?
« J’attends les suggestions…»
Chronique intitulée
Il n’y a pas de tactique magique pour négocier avec Trump
Yves Boisvert
La Presse
le 25 octobre 2025

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