« Mercredi soir, l’Union pour les libertés civiles américaines (ACLU) a organisé aux États-Unis plusieurs séances d’informations en ligne afin de former les citoyens américains aux principes de la protestation pacifique et, surtout, de la désescalade de la violence dans un contexte de manifestation dans l’espace public.
« Pour l’organisme, le rappel de ces règles visant à encadrer l’opposition dans une logique respectueuse est jugé nécessaire alors que plusieurs millions d’Américains sont attendus samedi dans les rues de 2500 villes du pays, à l’appel du mouvement No Kings (Pas de rois).
« Portée par une coalition de groupes versés dans la défense de la démocratie et des droits civiques, la mobilisation veut réaffirmer le caractère démocratique des États-Unis et dénoncer la radicalisation du régime de Donald Trump, tout comme ses attaques ouvertes depuis près de 10 mois contre l’État de droit.
« Mais elle s’inscrit aussi dans un nouveau climat politique et social dans lequel le populiste n’a désormais plus peur de lancer la garde nationale américaine contre les citoyens américains, de compromettre le droit de parole de ses opposants ou encore de lancer l’appareil judiciaire américain contre ses critiques.
« Plusieurs républicains ont d’ailleurs alimenté toute la semaine ce climat de tension entre le pouvoir en place et l’opposition politique en qualifiant cette mobilisation populaire de « Rassemblement pour la haine de l’Amérique » et en affirmant qu’il était soutenu par « l’aile terroriste » du Parti démocrate. C’est le député du Minnesota, Tom Emmer, qui a dit ça.
« Pour le président de la chambre des représentants, Mike Johnson, « l’aile pro-Hamas » de la formation politique américaine, a-t-il affirmé, et les « antifas », ce groupe informel dénonçant la montée du fascisme aux États-Unis, vont être derrière ces mouvements de foule.
«Il y a quelques jours, Donald Trump a déclaré que le mouvement Antifa était une organisation terroriste. Partout dans le monde, dans les régimes autoritaires et les dictatures, l’invocation du « terrorisme » est devenue une norme pour justifier la répression contre toute forme d’opposition et les atteintes aux libertés de réunion et de parole, les procès expéditifs et les exactions.
Affirmer un droit inaliénable
« En juin dernier, une première mouture du mouvement No Kings avait fait descendre dans les rues entre 4 et 5 millions d’Américains préoccupés par la tonalité du nouveau régime républicain et ses accents autant autoritaires qu’antidémocratiques, selon les manifestants. « Ces manifestations n’ont pratiquement donné lieu à aucune violence ni conflit », résume en entrevue au Devoir le politicologue Omar Wasow, spécialiste des mouvements de foule et de leur impact sur l’opinion publique à l’Université de Californie à Berkeley. « Celles de samedi devraient être plus importantes et il va donc être très difficile pour le gouvernement Trump de mobiliser une quelconque forme de répression nationale, même si des frictions sont possibles entre manifestants et forces de l’ordre dans certaines villes où le président a déployé la Garde nationale, comme Chicago, Washington D.C. ou Portland. »
« Le risque est là, mais les organisateurs de cette journée, dénonçant l’ascension d’un aspirant « roi » aux États-Unis, dans sa forme totalitaire et corrompue, selon eux, préfèrent plutôt parler d’un mouvement « amusant », « puissant » qui « va entrer dans l’histoire », a dit l’un d’eux, Ezra Levin, cette semaine sur les ondes de MSNBC. Et il maintient que l’ampleur de la mobilisation devrait en fin de compte témoigner autant de la résistance des Américains face aux dérives autoritaires visibles que du niveau de santé de la démocratie américaine et de sa capacité à laisser les voix dissidentes s’exprimer.
« Si vos droits garantis par le premier amendement [de la Constitution américaine, sur la liberté d’expression] sont menacés et que vous refusez de participer à ces manifestations à cause de ces menaces, ce serait admettre que vous n’avez plus de droits garantis par le premier amendement », a dit M. Levin.
« Alors que l’État de droit est actuellement menacé aux États-Unis, ces manifestations portent un message clair sur la vitalité de ce droit, ajoute M. Wasow. Le fait que des millions de personnes vont se rassembler pour soutenir la démocratie est le signe qu’une contre-mobilisation importante et croissante contre le gouvernement Trump est en train de prendre forme, et les études évoquent que cela influencera l’opinion publique, les électeurs et les élus démocrates », et ce, à un peu plus d’un an de la prochaine échéance électorale aux États-Unis, les élections de mi-mandat de novembre 2026.
« Dix mois après sa reprise brutale du pouvoir, Donald Trump doit composer avec une cote de popularité nette négative, à 15 points, selon les dernières données de l'Economist. Il s’agit du même niveau que lors de la première année de son premier mandat. « Les Américains ne sont pas seulement déçus par sa gestion des questions essentielles comme l’inflation et l’économie, écrit le magazine. Ils n’apprécient pas non plus son approche sur des questions qui ont fait son succès, comme l’immigration et la criminalité. Et malgré cela, il continue de promouvoir avec acharnement ses politiques impopulaires.
« Le mouvement No Kings de samedi pourrait donc lui envoyer un signal important, surtout si les organisateurs arrivent, comme il l’espère, à doubler le nombre de participants, par rapport aux manifestations du 14 juin dernier. Elles avaient été tenues à dessein le jour de l’anniversaire du président américain.
«Ils convoitent même un chiffre : 12 millions de personnes, soit 3,5 % de la population du pays. Ce taux de participation, selon les politicologues Erica Chenoweth, de l’Université Harvard, et Maria Stephan, organisatrice en chef du projet Horizons, représente en effet un « seuil critique », celui qui peut conduire à l’expulsion d’un parti au pouvoir et de sa figure de proue. Elles ont étudié les mouvements de résistance civiques de 1900 à 2006 partout dans le monde pour en arriver là. Et la seule façon de contrecarrer ce genre de mobilisation citoyenne pacifique est finalement de s’assurer qu’elles deviennent violentes. La violence divisant par deux son pouvoir de changement. »
Analyse intitulée
La santé de la démocratie américaine
testée par le mouvement «No Kings»
Fabien Deglise
Le Devoir
le 18 octobre 2025
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