« À Tout peut arriver il y a deux semaines, sur ICI Première, c’était partout dans l’air. Et même si ce n’est pas drôle, les invités arrivaient à en parler avec légèreté, humour et une petite distanciation — ce qui m’apparaît être une bonne chose, puisque ça laisse penser que, même s’il est difficile de s’en libérer, on peut au moins l’apprivoiser, apprendre à composer avec elle, à la gérer. Je parle d’anxiété.
« En entrevue pour promouvoir Cavale, son plus récent album, Cœur de pirate a raconté que la peur est le moteur de quelques-unes des chansons du disque, notamment Pensées intrusives. Son ami l’humoriste David Beaucage était sur le même plateau pour inaugurer une nouvelle chronique en réaction à l’« actualité qui peut être anxiogène », a annoncé Marie-Louise Arsenault pour mettre la table. « L’anxiété est une question de perception ; c’est important d’apprendre à voir le positif dans le négatif et ça s’apprend », a dit M. Beaucage avant de lancer son segment intitulé « Faire le vide avec David ».
« Convié à la même émission, le comédien et humoriste Hassan Mahbouba, qui incarne le charismatique Édouard (Dodi) dans Mille secrets mille dangers, parlait de ses années de galère et de son ascension, loin d’être instantanée. Ce sont ses vidéos sur Instagram, mettant en scène son père libanais, toujours un peu sur le bord de péter un câble, qui l’ont propulsé vers le succès. Dans l’une d’elles, il lui annonce faire de l’anxiété. Réaction du paternel : « … Ben au moins tu fais quelque chose ! » Ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle, mais cette dernière réplique a quand même fait pouffer de rire la jeune personne très chère à mon cœur qui était à mes côtés dans la voiture et qui se bat, elle aussi, contre ce monstre-là.
«À la clinique spécialisée en anxiété où elle sera soignée, une intervenante m’a raconté que la demande a explosé au cours des dernières années, en particulier depuis la pandémie, qui a tout exacerbé. Même constat dans le bureau de la médecin de famille : depuis 10-12 ans, c’est plus marqué et présent. Alarmant.
« Lorsque je vais rencontrer les élèves dans les cégeps comme écrivaine invitée, je constate qu’il est plus difficile aujourd’hui qu’à mes débuts de créer une connexion avec eux… Comme s’il manquait d’électricité dans le contact. Je n’irais pas jusqu’à généraliser — c’est une impression. Les professeurs avec qui je suis allée dîner après une rencontre au cégep de Sherbrooke le mois dernier m’ont dit qu’ils trouvaient que les élèves semblent souffrir davantage de solitude.
« Une amie qui enseigne au cégep Édouard-Montpetit, à Longueuil, remarque elle aussi que bien des jeunes qui fréquentent l’établissement sont très anxieux, mais désireux d’aborder le sujet quand on le leur propose. « J’ai un très beau contact avec mes groupes cette session. Mais tous me parlent, quand j’ouvre la conversation, de l’influence pénible des réseaux sociaux sur leur existence, note Julia Pawlowicz. L’isolement, c’est aussi “voir” les vies des autres, se mettre de la pression, ne pas oser jaser en personne avec des gens. Je propose souvent des ateliers en équipe dans mes cours ; ça aide à la dynamique du groupe et ça favorise les amitiés. Je pense que c’est la clé. Autrement, ils font comme nous, seuls derrière leurs écrans… malheureux. La pression de performance est aussi source d’anxiété. »
« Elle ajoute que la pandémie, qui a normalisé une utilisation accrue et généralisée des écrans, en a mené plusieurs à la dépendance, et le fait d’avoir appris à se méfier des autres nuit à leur épanouissement au moment où ils deviennent de jeunes adultes.
« J’ajoute au passage — on en est tous conscients, mais c’est important de le rereredire — que l’accès aux soins et aux traitements est difficile, compliqué, long, et ça aussi, c’est très préoccupant. Pour consulter un psy, les listes, au public comme au privé, sont interminables et il faut s’armer de détermination pour que ça aboutisse. Les démarches sont ponctuées d’épisodes de fax pas acheminés au bon endroit, dont on ne sait jamais trop s’ils ont été reçus, traités avec l’importance qu’ils méritent, et s’ils aboutiront à du concret. C’est absolument exaspérant, par moments très décourageant, et je me demande comment font les parents un peu moins habiles et obstinés dans leurs recherches, approches et tentatives de contact.
« J’arrive à cet âge ingrat, prise en sandwich entre deux fragilités : nos enfants qui souffrent d’anxiété et nos parents occupés à combattre l’autre monstre, celui avec des pinces, des pattes et une carapace coriace, qui les freine d’un coup sec. Je ne partirai pas sur l’état du système de santé, car ce n’est pas l’objet de cette chronique, mais oui, il y a ça, qui n’aide en rien. On attend que ce soit grave avant d’intervenir ; pendant ce temps, le mal fait son nid, prend des forces et s’incruste.
« Depuis que j’en parle autour de moi, je constate à quel point ce fléau, l’anxiété, est répandu. Il ne va pas s’estomper et disparaître par magie. En attendant d’obtenir des soins ciblés et de pouvoir attaquer le mal à la racine, c’est encore un livre qui me sauve, une recommandation d’une amie et aussi de la clinique : La peur d’avoir peur d’Andrée Letarte, Amélie Seidah et André Marchand, vendu à 80 000 exemplaires et qui en est à sa quatrième édition — d’après moi, pas la dernière. Je le recommande à mon tour à tous ceux qui veulent s’informer, comprendre et apprivoiser la bête en attendant de la dompter. »
Chronique intitulée
Ce mal qui les ronge
Marie-Hélène Poitras
Le Devoir
le 21 octobre 2025
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