20 octobre 2025

Étincelles d’espoir



Je cherche ce matin un beau texte à lire et je tombe sur ce joyau publié dans Le Devoir que je vous invite à parcourir parce qu'il y a des raisons d'espérer.


« Cette question me hante. Elle revient au rythme des années qui s’empilent, repoussant de plus en plus cette échéance que j’avais cru rencontrer plus tôt, beaucoup plus tôt. Et puis il y a peut-être la lumière d’octobre aussi, les feuilles qui s’apprêtent à lâcher, la petite mélancolie confortable dans laquelle je me prépare à glisser afin que j’arrive juste assez alanguie pour Noël. Il y a en moi ce mouvement de retrait du monde qui bat son bruit, avec ses hauts cris, ses irruptions d’opinion et ses grandes mobilisations, aussi fulgurantes que brèves, qui finissent par m’empêcher de penser. Et c’est souvent en octobre que me vient l’envie de remiser un peu mes écrans pour retourner à l’intérieur, préparer du feu pour retrouver le fil de moi qui demande à se mêler aux autres, sur le grand métier à tisser de mon identité.


« Il s’agira d’abord de m’avouer vaincue. Je n’arriverai plus à me faire une opinion sur rien. Comme si la pensée instantanée prenait sa retraite, je goûte à une autre manière de prendre le monde. Peut-être pour retrouver en moi une trace de cette chose que nous devrions chérir jusqu’à la fin de tout, il me semble, cette petite trace d’espoir ou d’espérance, plutôt, je ne sais jamais vraiment faire la différence entre les deux. J’en parle avec Isabelle Rivest, quand on se croise enfin, après s’être lues l’une et l’autre, au Salon du livre de l’Estrie. « L’espérance, Isabelle, ce n’est pas ce qui surgit quand il n’y a plus vraiment de raison de croire en une issue positive ? » « Je pense que ça convoque plus une dimension spirituelle, et qu’il y a quelque chose d’inébranlable dans l’espérance. »


« Isabelle, coautrice, avec sa mère, Francine Turbide du sublime Nos mères meurent,  publié chez Quartz, se promène de bibliothèques en centres culturels de petits et grands villages pour faire écrire les gens sur l’espérance. Elle partage avec moi le beau, le menu miracle qui se joue alors quand des gens de tous âges mettent en mots ce petit collage des choses qui les gardent du côté de la lumière, dans ce monde qui vire si rapidement au noir. Cela me donne illico l’envie de jouer à son jeu d’espérance.


« Après que sa mère a commencé à disparaître avant de disparaître pour vrai, effacée par une forme de démence, très jeune, trop jeune, elle a coécrit ce livre avec elle, prenant les cahiers écrits sur des années par sa mère et les plaçant en dialogue avec elle. On ne ressort pas vraiment intact de cette lecture, tant il y a dans le geste, dans les deux noms sur la couverture, dans le fil tendu entre la mère qui meurt, l’enfant qui naît, quelque chose qui, dépose effectivement en nous, une forme d’espérance. Dans l’intime de cet amour entre une fille et sa mère, dans la parole donnée même après la mort et dans cette lettre écrite par Francine à l’enfant qui grandissait dans le ventre d’Isabelle, il y a peut-être au fond, c’est vrai, Isabelle, le germe de ce que ça nous prend à tous pour vieillir en espérance.


« Je croise aussi Mathieu Bélisle au Salon, qui, lui aussi, tiens, cherche quelque chose à répondre à son fils qui lui demande : « Papa, est-ce que c’est vrai que le monde va brûler ? » Avec son essai Une brève histoire de l’espoir, publié chez Lux, il nous prend la main, par petits fragments, et nous convie à un voyage dans la pensée de l’espoir. De l’Antiquité à aujourd’hui, au travers des siècles, des guerres et des désillusions, il nous dit quelque chose de la façon dont se retissent, chaque fois, de nouvelles raisons d’espérer la suite du monde. Dans le cinquième et dernier chapitre « Après les grandes espérances », au fragment 84, il y a cette toute petite réponse à Jankélévitch — « Si “la prière est le désespoir de la raison”, il faut reconnaître que c’est parfois le peu qu’il nous reste. La prière et la poésie. » — qui m’habite depuis sa lecture.


« Il faut lire cet essai comme on suivrait un petit chemin de pierres blanches vers ce qui peut nous donner le droit d’encore souhaiter aimer les humains, malgré ce qu’ils sont, certes, mais surtout, avec ce qu’ils sont. Les humains et les arbres.


« Au fragment 187, « Pourquoi tous ces arbres — le pin nain, le camphrier, le ginkgo biloba, le pin de Bristlecone — ont-ils trouvé leur place dans les pages d’un livre consacré à l’espoir ? Parce qu’ils nous enseignent à vivre (et à mourir) debout. »


« Amor fati », redit encore et encore Yves St-Arnaud, dans L’art de croire. À la recherche d’une croyance saine, que je prends aussi avec moi vers mon novembre, et que je tends vers vous aussi, pensant que vous êtes, peut-être, vous aussi, en train de vous demander comment vieillir bien devant ce monde qui ne sait plus comment parler sans crier. Dans cet essai qui suit son propre déploiement spirituel, en croisement avec des penseurs tels que le psychiatre et chercheur à la pensée fabuleuse Iain McGilchrist, St-Arnaud, le grand pédagogue, à la pensée schématique, mais pleine d’amplitude, arrive à formuler ce qu’il désigne en tant que sept indices de ce que serait une « croyance saine ».


« Envisageant la fin de sa vie, maintenant, St-Arnaud écrit : « Mon credo de fin de vie peut se compléter ainsi : “Je m’incline devant cette Nature mystérieuse / Avec respect, admiration et amour / M’y abandonnant en toute confiance / Satisfait de la vie qu’elle me donne / Sans rien demander d’autre”. »


« Et puis, il y a Alizée aussi, que je croise au Salon, Alizée Goulet, qui dépose dans mes mains son Ennuagée que je lis d’une traite le soir.


« De sa jeunesse qui me rentre dans le cœur, elle me parle de sa thèse sur la maternité et l’écriture, je lui donne un exemplaire de ce recueil de récits de naissances que j’avais codirigé, il y a trop longtemps, si longtemps, comme si les histoires de naissance devenaient désuètes, comme si un ventre qui se tord, une femme qui meurt toujours un peu pour pousser de la vie au-dehors d’elle, ça devenait vite « passé date ». Je lui parle de mes déchirures et de mes dentelles, elle me raconte ces nuages et, au travers d’eux, je reçois tout de l’avenir qui perce, aussi.


« Nuage bas, les yeux glissent de surface en surface, puis à travers la fenêtre. Derrière la blancheur, je cherche l’étendue de l’univers. Des gouttes en plongée sur la serviette, sur mon cou, je regroupe mes cheveux en nid pour l’humidité. Dans le salon, j’entame une marche relaxée, je considère des façons d’appartenir. »


« Comme en collage à ma quête d’espérance, je trouve à sa dernière page, ce petit collier de minuscules, porté au cou de ce que je m’imagine comme étant une suite habitable, pour elle, qui après tous ses nuages, dépose : « Je m’adresse à qui je deviens, à ce qui pourrait venir d’ici, le lac, la berge, si je t’y invitais au complet, toi, le chien, si ton sourire se mêlait à la brillance des vagues. »


« Et voilà que je me trouve avec quelques bribes d’espérance.»


Texte intitulé

Des raisons d’espérer

Nathalie Plaat

chroniqueuse

Le Devoir

le 20 octobre 2025 

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