31 octobre 2025

Lettre d’une jeune médecin à Christian Dubé


«
Je suis une jeune médecin spécialiste. J’ai obtenu mon diplôme du cégep en 2012. Depuis, j’ai étudié pour devenir médecin : une année de pré-med, quatre années de médecine, cinq années de résidence et trois années de fellowship. Après ces 13 années d’études, de nuits blanches, de sacrifices personnels et familiaux, me voilà enfin surspécialisée en médecine fœto-maternelle, avec une expertise en thérapie fœtale, c’est-à-dire pour soigner in utero les bébés malades.

« Les trois dernières années, je les ai passées à Toronto pour acquérir cette expertise. On m’a offert d’y rester pour une carrière universitaire, plus de ressources et un meilleur revenu. J’ai décliné par amour pour ma province.


« Maintenant que je m’apprête à revenir au Québec, j’ouvre mes cliniques et je constate à quel point notre système est brisé. À Toronto, un avant-midi de procédures diagnostiques (amniocentèses, biopsies choriales) me permettait de voir huit à douze patientes ; au Québec, on m’indique que je ne peux en voir que trois dans le même laps de temps. Même médecin, même motivation, mêmes compétences : ma productivité chute de 75 %. Une journée de clinique de grossesses à risque : 60 à 70 patientes à Toronto ; ici, au maximum 35, une baisse de 50 %. Je ne m’étendrai pas sur les salles opératoires : j’ai la chance de ne pas devoir me battre pour du temps opératoire.


« Le ministre de la Santé, Christian Dubé, semble attribuer aux médecins le manque de productivité observé au Québec. Néanmoins, l’écart avec l’Ontario ne relève ni du manque de volonté ni de la paresse : c’est le symptôme d’un système profondément brisé. Je ne suis ni économiste ni gestionnaire et je ne prétends pas l’être. Je peux toutefois affirmer que mes collègues ne souhaitent qu’une chose : travailler et aider les Québécois. Plutôt que de blâmer les individus, ce qui est certes plus facile, ayons une véritable réflexion de société et repensons le système de santé dans son ensemble.


« Notre modèle date d’une époque où une majorité travaillait pour une minorité malade. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse que l’on observe avec le vieillissement de la population et une hausse marquée des maladies chroniques.


« En dix ans, la médecine a fait d’énormes progrès. Dans ma spécialité, des femmes qui vivent avec une insuffisance cardiaque sévère ou qui sont atteintes de fibrose kystique peuvent maintenant mener des grossesses à terme. L’impossible d’hier est devenu notre quotidien. Penser que le système peut continuer de fonctionner tel qu’il est témoigne d’un manque de compréhension de notre travail.


« Les médecins ne sont ni à plaindre ni à placer sur un piédestal par rapport à d’autres professions. Je ne demande pas d’augmentation salariale, mais je constate simplement que les pénalités individuelles de productivité, souvent causées par un système brisé, ne sont probablement pas la bonne solution. La réalité est que pour la vaste majorité d’entre nous, si nous ne voyons pas de patients, nous ne sommes pas payés ; c’est aussi simple que cela.


« Au final, je retourne travailler au Québec, réticente vu le climat actuel, mais par amour de ma profession et de la population. Si le gouvernement ne me permet pas de pratiquer librement, je n’aurai malheureusement d’autre choix que de partir pour une autre province et plusieurs collègues, tout aussi attachés au Québec, mais attirés par de meilleures conditions, en sont au même point.


« Monsieur Dubé, nous vous demandons sincèrement de vous asseoir, d’examiner notre système en profondeur et de l’optimiser avant de pénaliser celles et ceux qui veulent simplement travailler.»


Lettre d’opinion intitulée

Le symptôme d’un système de santé brisé

Laurence Carmant

médecin spécialiste et professeure adjointe

Le Devoir

le 29 octobre 2025

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire