« Le manque d’action contre le changement climatique est une violation du droit international et les pays qui en sont responsables pourraient devoir verser des réparations à ceux qui en subissent les effets, a conclu mercredi le plus haut tribunal des Nations unies. Aperçu de cet avis qui annonce un tournant en matière de justice climatique.
Obligation d’agir
« Le droit international « impose aux États des obligations relativement à la protection du système climatique », afin de le protéger contre les conséquences des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine, a statué la Cour internationale de justice (CIJ).
« Un État qui n’en fait pas assez pour limiter ses émissions viole donc ses obligations, « un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité », qui peut conduire à « l’octroi d’une réparation intégrale aux États lésés », ont conclu à l’unanimité les 15 juges du plus haut tribunal international.
« Cet « avis consultatif » de la CIJ avait été demandé par une résolution de l’assemblée générale des Nations unies adoptée en 2023 par une centaine de pays, dont le Canada, qui voulaient connaître les obligations des États et leurs conséquences juridiques relativement au changement climatique.
Poursuites à prévoir
« L’avis de la CIJ est un « développement majeur » qui aura des conséquences concrètes, analyse Christopher Campbell-Duruflé, professeur de droit de l’Université métropolitaine de Toronto et membre du comité juridique du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).
« Ce n’est pas juste pour les profs et les étudiants de droit », dit-il, expliquant que les États « qui ont tout à perdre » s’appuieront sur cette décision pour lancer des poursuites contre les pays riches responsables du problème.
« L’avis « historique » de la CIJ pèsera aussi sur les négociations climatiques internationales comme les conférences des Nations unies (COP), prévoit Thomas Burelli, professeur de droit de l’Université d’Ottawa et directeur du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale.
« La décision fera figure d’« épée de Damoclès » au-dessus des grands émetteurs, qui seront poussés à rehausser leurs actions face à de potentielles poursuites coûteuses, dit-il.
Un revers pour le Canada
« La CIJ conclut qu’il n’est pas suffisant pour les États de signer des traités internationaux pour s’acquitter de leurs responsabilités climatiques, contredisant ainsi l’argumentaire du Canada, notamment.
« Comme d’autres grands émetteurs de GES, Ottawa soutenait que le droit coutumier, soit les règles de base reconnues par la communauté internationale sans être écrites dans des traités, ne s’appliquait pas aux questions climatiques.
« En gros, le Canada disait qu’aller aux COP, soumettre une cible de réduction, faire rapport, c’était suffisant pour qu’un pays puisse satisfaire à ses obligations. La Cour internationale de justice nous dit “pas du tout”.
Christopher Campbell-Duruflé, professeur de droit de l’Université métropolitaine de Toronto
«Il s’agit aussi d’une « pique » aux États-Unis, ajoute Thomas Burelli : « Sortir de l’Accord de Paris, ça ne suffit plus [pour se soustraire à ses obligations] », souligne-t-il.
Renoncer aux oléoducs
« La décision de la CIJ énumère une série d’actions que les États doivent prendre pour assumer leur obligation de limiter le réchauffement climatique, comme réduire leurs émissions, mais aussi « évaluer les risques et impacts [climatiques] de toute activité projetée » comme la construction d’un oléoduc, souligne Christopher Campbell-Duruflé.
« Et les obligations sont encore plus exigeantes pour les pays développés », responsables des émissions historiques de GES, ajoute-t-il.
« La Cour mentionne aussi explicitement les subventions aux énergies fossiles comme indicateur de la responsabilité climatique des États, relève le professeur.
« Tous les pays producteurs de combustibles fossiles, notamment le Canada, devraient passer leur cadre réglementaire et législatif entier en revue pour s’assurer que leurs actions sont conformes au devoir de diligence » qu’impose la CIJ, incluant les provinces, affirme-t-il.
Un précédent canadien
« Ironiquement, la responsabilité internationale des États en matière d’environnement découle d’un litige qui a opposé les États-Unis et le Canada il y a environ un siècle, souligne l’avis de la CIJ.
« L’obligation de prévenir les dommages environnementaux transfrontières a été reconnue pour la première fois comme un principe de droit international dans la sentence arbitrale relative à la Fonderie de Trail », rappelle la CIJ.
« Les rejets de dioxyde de soufre de cette fonderie située en Colombie-Britannique avaient endommagé des terres agricoles de l’État voisin de Washington, dans les années 1920, ce qui avait mené à la condamnation du Canada.
« Le Canada a respecté le jugement », qui est considéré comme le début de la règle coutumière voulant qu’il soit interdit de causer des dommages à l’environnement d’un autre pays, souligne Christopher Campbell-Duruflé, qui ajoute qu’Ottawa et Washington seraient ainsi bien malvenus de ne pas respecter l’avis de la cour ou une éventuelle décision à leur encontre en matière climatique.»
Article intitulé
Ne pas agir viole le droit international, tranche la Cour internationale de justice
Jean-Thomas Léveillé
La Presse
publié le 23 juillet 2025 à 16 h30
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