05 septembre 2025

L’IA: une dépendance sournoise

« Le déni n’aura duré qu’un temps. Après avoir dédaigné l’intelligence artificielle l’(IA) et m’en être tenue le plus loin possible pour des raisons environnementales (eau, énergie), j’ai constaté cet été que l’IA générative s’était immiscée dans toutes les strates de la société. Un assistant pratique, une béquille techno gratuite et un réflexe acquis en très peu de temps. Selon un  récent sondage Léger (22-25 août), les Canadiens sont passés de 30 % d’utilisateurs en 2024 à 57 % un an plus tard. Presque le double. Et ces chiffres sont conservateurs.


« L’hydre techno a colonisé nos mœurs et nos esprits de façon sournoise et en créant une dépendance, ni vu ni connu. Les uns font écrire leurs courriels, les autres la consultent comme un psy, un ami, un conseiller en dating  ou un amoureux (les trois quarts des ados américains, selon une enquête Common Sense parue en juillet, ont entretenu au moins une fois une relation intime avec elle). Le film Her n’est plus de la science-fiction. L’anthropomorphisation d’un chatbot devient naturelle puisque l’IA s’exprime et « pense » comme un humain.


« Après quelques tests, j’ai dû me rendre à l’évidence : Chat GPT s’était considérablement amélioré depuis deux ans. Au fil de mes lectures et recherches sur la question, j’ai noté les mots qui me semblaient les plus représentatifs des dangers qui nous guettent (sans consulter une IA) : vitesse, paresse, dépendance, fascination, compétition, soumission (à l’oracle), contagion, et j’ai ajouté les termes flagorneur et éthique. L’IA nous flatte l’ego et dégaine plus vite que son ombre.


« Après avoir lu l’historien Yuval Noah Harari (Nexus), l’écrivain et conseiller politique Giuliano da Ampoli (L’heure des prédateurs), écouté des entrevues avec Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton (deux parrains de l’IA), j’ai eu l’impression d’être embarquée dans un train aveugle, sans conducteur, vers on ne sait où. L’incertitude est palpable même chez ces experts, plutôt inquiets. Monteriez-vous dans un TGV qui a 10 à 20 % des chances de dérailler ? C’est pourtant vers une telle destination que nous nous dirigeons collectivement. Il y a peut-être une raison pour laquelle Harari (Sapiens) parle d’Alien Intelligence (AI). 


[...]


Techno-féodalisme

« Andréane Sabourin Laflamme n’est pas une alarmiste de l’IA ; elle effectue aussi un doctorat en droit à l’Université de Sherbrooke qui porte sur le rôle de l’éthique et du droit dans l’encadrement normatif de l’intelligence artificielle : « Il n’y a pas de lois suffisantes pour le moment. Tout ce qu’on peut espérer c’est que les entreprises vont prendre leurs responsabilités civiques. L’objectif de l’État, c’est d’intégrer l’IA pour optimiser ses opérations. »


« Nous discutons des dérives à la Black Mirror (science-fiction de Netflix) et des impacts climatiques déjà documentés. « La peur peut paralyser, dit-elle. Mais entre le déni et la peur, je choisis la peur. Il faut que ce soit dans le débat public. »


« On peut imaginer les dangers du non-interventionnisme étatique. Tandis que Hinton et Bengio lèvent des drapeaux rouges sur toutes les tribunes (Bengio est terrifié par la fin potentielle de l’humanité d’ici dix ans), les gouvernements (Trump en tête) font la sourde oreille. « C’est la suite logique du capitalisme, des outils de domination extrêmement puissants », me glisse la doctorante. « Même les États ne peuvent protéger les populations. »


« Ces États n’arrivent même pas à gérer l’implantation de la SAAQclic ! On peut imaginer leur incompétence abyssale face à ce nouveau joujou hypnotique qui les dépasse en intelligence, en puissance et en complexité. Giuliano da Empoli l’a bien saisi dans son dernier pavé, L’heure des prédateurs : « Ainsi, le destin de nos démocraties se joue de plus en plus dans une sorte de Somalie digitale, un État en faillite à la mesure de la planète, soumis à la loi des seigneurs de la guerre numérique et de leurs milices. […] La fenêtre d’opportunité qui existait jusqu’à hier pour qu’un système de règles soit mis en place s’est refermée. L’idée même d’une limite à la logique de la force, de la finance et des cryptomonnaies, à l’emballement de l’IA et des technologies convergentes ou au basculement de l’ordre international vers la jungle, est sortie du domaine du concevable. »


Et c’est bien LA grande question dont l’absence de réponse sidère : de quoi sera fait cet avenir qui ne ressemble à rien de connu ? »


Extraits de la chronique intitulée

L’été de l’IA

Josée Blanchette

Le Devoir 

le 5 septembre 2025

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire