28 octobre 2025

Soigner notre façon de vivre ensemble


J'ai aimé le ton de cette lettre qui observe le conflit entre les médecins et le gouvernement avec lucidité et respect.


« Je tente ici un exercice de nuance. Comme bien des Québécois, il m’arrive moi aussi, parfois, de me dire que nos médecins sont déjà bien assez payés et qu’ils n’ont pas le droit de se plaindre. Puis, l’instant d’après, je me ravise. Parce que j’aime profondément les médecins. Je les considère comme essentiels, admirables, souvent héroïques. Leurs revendications sont légitimes, tout comme celles de n’importe quel autre groupe de travailleurs qui se sent brimé. Rares sont les corps de métier au Québec qui ont vu leur rémunération gelée ainsi pendant des années. Et il est vrai aussi que le doctor bashing, devenu sport national, commence sérieusement à me fatiguer.


« Mais l’ampleur de la réaction actuelle de ces derniers face au projet de loi du gouvernement me paraît exagérée. On y sent le choc d’une élite qui, depuis soixante ans, a été relativement épargnée par les grands bouleversements sociaux et économiques que le reste du Québec a dû encaisser. Une élite qui découvre, peut-être pour la première fois, ce que c’est de devoir se plier à des contraintes collectives.


« Je ne nie pas la difficulté du métier ni les conditions parfois intenables dans les hôpitaux et les cliniques. Je reconnais la charge mentale que ces professionnels de la santé doivent gérer au quotidien. Mais les médecins n’ont pas le monopole de la douleur. Ni du stress. Ni du surmenage. Des milliers de travailleurs québécois se lèvent chaque matin pour faire tourner ce pays, sans reconnaissance, sans prime de disponibilité, sans équipe de soutien, souvent sans même un merci. Qu’ils soient éducateurs, préposés, professeurs, infirmières, travailleurs sociaux, techniciens ou entrepreneurs, ils travaillent fort, eux aussi, et eux aussi subissent des décisions gouvernementales qui échappent complètement à leur contrôle.


« Dimanche dernier, à  Tout le monde en parle, la Dre Dominique Synnott a illustré, malgré elle, ce malaise. Son ton vindicatif, cynique et fermé au dialogue, reflète malheureusement le discours qu’on entend trop souvent, ces temps-ci, dans l’espace public de la part de certains médecins : un discours centré sur l’indignation, rarement sur la recherche de solutions. C’est dommage, parce que ce sont justement les médecins, avec leur crédibilité et leur intelligence, qui auraient le plus à gagner à mener ce débat autrement, en élevant la conversation plutôt qu’en l’envenimant.


« Quant aux fameux indicateurs de performance qui pourraient déterminer 15 % de leur rémunération, permettez-moi de dire que ce n’est pas une révolution bureaucratique. C’est une pratique courante dans l’entreprise privée depuis toujours. Oui, c’est imparfait. Oui, il y a des facteurs externes. Mais c’est le quotidien de bien des gestionnaires et des professionnels : atteindre des objectifs dans un contexte qu’on ne contrôle jamais totalement. Être imputable, ce n’est pas être humilié, c’est simplement faire partie d’un collectif qui se donne les moyens de mesurer son impact.


« Je ne crois pas que le gouvernement ait tout bon, je trouve sa méthode peu digne. Je suis particulièrement inquiet de la dérive autoritaire de la loi 2 qui appelle à une répression des moyens de pression et à l’instauration d’un climat de délation entre les professionnels de la santé. Le dialogue entre l’État et les médecins doit se faire avant tout dans le respect. Il doit toutefois aussi se faire dans la lucidité. Le Québec change. Le système public s’écroule sous son propre poids. Tout le monde devra contribuer à le redresser, y compris ceux qui, pendant trop longtemps, ont cru que la réforme, c’était toujours pour les autres.


« En fin de compte, j’aimerais qu’on se rappelle que les médecins sont d’abord des citoyens parmi d’autres. Des gens qu’on respecte, qu’on écoute, mais qui ne sont pas au-dessus du monde du travail. Et qu’au Québec, le courage ne se résume pas à soigner des corps, mais aussi à soigner notre façon de vivre ensemble.»


Lettre d’opinion intitulée

Les médecins n’ont pas le monopole de la douleur

Marc-André Bouvette

gestionnaire et citoyen

Le Devoir

28 octobre 2025

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