27 octobre 2025

Les États-Unis d’Amérique, un nouveau monde ?


Le degré de corruption de la présidence Trump nous échappe encore, je crois. L’inédit est difficile à appréhender. On demeure prisonnier des vieilles conceptions.


« Un peu comme les premiers explorateurs européens accostant en Amérique, à qui il a fallu des années pour comprendre qu’ils n’étaient allés ni en Inde, ni au Japon, ni en Turquie, ni dans rien de ce qu’ils croyaient reconnaître. Ils n’avaient pas de référence.


« La corruption de cette Maison-Blanche n’est pas « supérieure ». Ou « plus grave ». C’est une corruption d’une nature différente. C’est un continent nouveau, en quelque sorte.


« Ce qu’il y a de nouveau, à part l’ampleur et la profondeur de cette corruption, c’est sa transparence. Sa banalité. Sa quotidienneté.


« Ce n’est pas à la suite d’une longue enquête d’un journal pugnace qu’on apprend les gestes de corruption du président. C’est lui-même qui s’en vante. Car sous Donald Trump, ce n’est pas de la « corruption », c’est de la réparation. De la justice en retard.


« L’exemple le plus récent : ces réclamations totalisant 230 millions de Donald Trump au gouvernement américain. Des demandes déposées en 2023 et 2024. Et qu’il veut faire autoriser.


« La première parce que, dit-il, on a fait enquête malicieusement et illégalement sur l’influence russe dans sa campagne de 2016. Je rappelle que Robert Mueller a conclu à une intervention massive des services de renseignement russes. Bien qu’il n’ait pas établi de complicité directe de la campagne Trump, de nombreux contacts ont été démontrés. Trump lui-même a été visé par des actes d’entrave à la justice, mais le rapport n’était pas capable de démontrer qu’il avait « commis un crime » ni de l’exonérer. Ce rapport a mené à la première tentative de destitution.


« La deuxième demande de réparation concerne la perquisition à Mar-a-Lago, où le FBI est allé chercher des dizaines de boîtes de documents conservés illégalement par Trump. Malgré des tentatives de récupération, l’ex-président refusait de les remettre. Un procès a suivi, qui s’est conclu par un arrêt du processus judiciaire quand la juge a estimé la nomination du procureur irrégulière. Mais Trump ne l’a pas pris.


« Voici donc qu’on apprend que Trump réclame 230 millions en dédommagement pour ces enquêtes « malhonnêtes ». Ce serait un record de tous les temps, bien sûr. Car ni les pires victimes d’erreur judiciaire ni les victimes des crimes les plus graves n’ont reçu de telle indemnisation du gouvernement fédéral américain.


«La question maintenant : qui, à la Justice, va négocier l’affaire ?


« On a eu la réponse la semaine dernière : c’est Donald Trump lui-même.


« Dans une apparition devant les médias la semaine dernière, le président a eu ces mots : « J’ai une poursuite qui allait vraiment bien et quand je suis devenu président, j’ai dit : je me poursuis moi-même. Je ne sais pas. Comment on règle une poursuite ? »


« Selon les règles habituelles du département de la Justice, ces affaires sont réglées très loin du président, de manière indépendante. Je dis « ces affaires », mais jamais un président n’a poursuivi le gouvernement américain. Jamais un président n’avait été poursuivi devant la cour criminelle non plus, vous me direz…


« Toujours est-il qu’en fin de compte, c’est le numéro deux de la Justice, le procureur général adjoint, Todd Blanche, qui devrait approuver ou rejeter une entente négociée par les procureurs du département.


« Ça tombe bien, Todd Blanche, nommé par Donald Trump, était l’avocat de Trump dans son procès criminel à New York pour falsification de documents en marge du paiement fait à Stormy Daniels. Un des adjoints de Blanche est Stanley Woodward, avocat pour d’autres personnes coaccusées avec Trump dans l’affaire des documents secrets.


« Quant à la procureure générale, Pam Bondi, elle a été avocate de Trump dans son dossier de destitution.


« Quand Trump dit qu’il « se poursuit lui-même », techniquement il fait une erreur de droit : il poursuit le gouvernement américain. Mais pas dans sa conception de l’État : il est le pouvoir. Et dans cette nouvelle conception du pouvoir « unitaire » du président, que promeut son entourage, Donald Trump peut décider de tout : augmenter les droits de douane d’un trait de plume, décréter un état de guerre ou d’urgence qui n’existe pas, bloquer l’envoi de fonds à un État démocrate… et autoriser une indemnisation à une « victime » d’injustice comme lui.


« Si jamais un règlement « à l’amiable » survient (imagine-t-on un procès !?), les 230 millions viendront des contribuables. Trump dit qu’il les donnera aux bonnes œuvres. Si on se fie à sa fondation bidon, fermée par ordre de la cour, on peut en douter.


« C’est déjà extravagant. Mais le problème ne s’arrête pas là. Le problème est l’accaparement de la Justice à des fins de vengeance personnelle. D’abord par le dépôt d’accusations contre des « ennemis » de Trump, dans des dossiers pourtant jugés sans fondement par les procureurs. Et maintenant, peut-être, par l’extorsion de 230 millions à l’État.


« Je ne parle pas ici de l’avion donné par le Qatar, du souper réservé aux investisseurs dans la cryptomonnaie du président, aux activités de la Trump Organization dans les pays qui dépendent de la coopération américaine, etc.


« Je parle seulement de la transformation du département de la Justice en un cabinet privé de recouvrement et de poursuites punitives aux ordres du président.


« C’est si gros, si déviant, si incroyable qu’on n’arrive pas encore à l’absorber. Comme si les mots habituels de « corruption » et « conflit d’intérêts » décrivaient des réalités trop petites, trop fades. Ça renvoie à des contrats à des amis, des nominations partisanes, du favoritisme ordinaire dans un village, un tour de passe-passe concernant un terrain de Laval, voyez le genre…


« Ce n’est pas ça.

« On est entrés dans un monde nouveau. »


Chronique intitulée

Un immense continent de corruption

Yves Boisvert

La Presse

Le 23 octobre 2025

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