Quel est le mot qui a attiré notre attention dans l’actualité cette semaine ? Que révèle-t-il ? Nathalie Collard, chroniqueuse au journal La Presse se penche sur la question.
« Le saviez-vous ? Les médecins sont en colère. Ils ne digèrent pas la loi 2, adoptée sous bâillon la semaine dernière. Ils ne sont pas les seuls à être en colère. Le premier ministre François Legault l’est aussi. Il ne digère pas que le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, invite les médecins québécois insatisfaits à pratiquer dans sa province.
« Une partie de la population québécoise est également en colère : les patients craignent de perdre leur médecin de famille, ou de faire les frais de cette méga chicane.
« Ah, et la famille Carmant est en colère, elle aussi. La Dre Laurence Carmant a exprimé la sienne dans les pages du Devoir. Douze heures plus tard, son père, le ministre Lionel Carmant, claquait la porte de la CAQ.
«Non, mais quel gâchis !
« Je ne suis pas de ceux et celles qui croient que l’émotion est mauvaise conseillère. Elle est une réaction à quelque chose qu’on ressent au fond de ses tripes. C’est un signal qu’il faut écouter.
« Mais la colère ne doit pas nous submerger. Elle ne doit pas prendre le dessus lorsque vient le temps de réfléchir et de trouver des solutions.
« Malheureusement, depuis une semaine, on voit des présidents de fédérations de médecins utiliser la colère pour fouetter leurs troupes. Et on voit un gouvernement tabler sur la colère d’une partie de la population pour tenir tête aux médecins. Ça donne lieu à des débordements et à des stratégies de communication très mal avisées de part et d’autre.
« Par exemple, voir des médecins se coller un ruban adhésif sur la bouche – un symbole très puissant utilisé pour dénoncer la censure – est un geste discutable. Je sais, les médecins dénoncent le fait que la loi 2 brime leur droit de parole. Mais il y a quelque chose de cynique à parler de censure quand ces mêmes médecins occupent énormément d’espace médiatique depuis plusieurs semaines. Pas une journée sans qu’un président de fédération ou un médecin soit interviewé pour dénoncer la nouvelle loi et l’attitude du gouvernement Legault.
« Quand on sait combien de causes louables n’ont pas ce privilège, et quand on se souvient que les autres professionnels de la santé n’ont jamais eu autant de temps d’antenne et d’espace pour exprimer leur mécontentement, disons que ce ruban adhésif laisse dubitatif.
« Tout comme ces menaces de quitter le Québec pour aller travailler dans d’autres provinces. Est-ce que déménager à Bathurst ou à Peterborough va régler quoi que ce soit au Québec ? Les menaces et les vrais départs aideront-ils vraiment la cause des médecins, et notre système de santé, que les médecins affirment avoir à cœur ?
« De l’autre côté, il y a un gouvernement qui n’arrive pas à expliquer le bien-fondé de sa loi, qui se perd dans les justifications nébuleuses, et qui renvoie carrément des experts éclairés qui osent émettre une opinion dissidente. C’est grave.
« Il y a aussi le ton, si important quand l’émotion est à fleur de peau. Les deux parties peuvent-elles le baisser de quelques crans, pour le bienfait de tous ?
« Derrière la colère, il y a les ego. Des ego qui prennent beaucoup de place, et qui nuisent au dialogue. Ce gouvernement donne l’impression qu’il ne veut pas perdre la face. Et les fédérations, peu habituées à ce qu’on leur tienne tête, donnent l’impression de réagir en enfants butés. Ce conflit ne devrait pas se retrouver devant les tribunaux, il aurait dû se régler autour d’une table.
« Au milieu de tout ça, il y a la population : 9 millions de personnes qui sont toutes des patients potentiels.
« Où est notre intérêt là-dedans ? On ne le sait pas trop. Le système par obligations de performance, qui nous colle un « signe de piasse » dans le front, semble loin d’être la solution miracle. L’équation est plus complexe que patient simple = patient payant. Et le fond demeure : la population n’a aucunement l’impression que cette loi réglera les problèmes systémiques comme l’accès à un médecin de famille, la disponibilité des salles d’opération pour les interventions chirurgicales ou la bureaucratie à outrance…
« C’est une évidence qu’une loi qu’on doit enfoncer dans la gorge n’est pas une bonne loi. Il faut que les hommes qui tiennent notre système de santé entre leurs mains (car oui, ce sont tous des hommes qui sont au premier plan dans ce conflit) mettent leur ego de côté pour le bien de la collectivité.
« Peut-on trouver des compromis ? Prendre en compte les critiques les plus pertinentes ? S’entendre sur une période d’essai sans pénalité pour voir ce qui fonctionne et ce qui accroche dans cette loi ?
«La colère a été libérée. Maintenant, il est temps de se parler.»
Chronique intitulée
Le mot de la semaine - Colère
Nathalie Collard
La Presse
le 31 octobre 2025

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