27 novembre 2025

À Kyiv, la fatigue et la colère montent contre le plan de paix américain


(Kyiv) Devant un immeuble du très chic quartier de Pechersk, des résidants, transis de froid, observent les masses de métal tordues qui jonchent la cour centrale.

« Au huitième étage, l’appartement d’angle n’est plus qu’une cavité calcinée, un amas de cendres, de pierres et de câbles emmêlés.


« Au moins sept personnes ont perdu la vie dans la nuit de lundi à mardi dans la capitale, et vingt autres, dont un enfant, ont été blessées, selon le maire Vitali Klitschko. Le bilan humain comme matériel reste en cours d’évaluation.


« Ici, personne n’a été tué ou blessé », précise Mikhaïlo Brijko, volontaire au sein de Dobrobat, un bataillon civil chargé de restaurer en urgence logements et infrastructures sociales.


« Cette scène, désormais quasi quotidienne à Kyiv, intervient néanmoins dans un climat politique alourdi depuis l’ultimatum lancé le 19 novembre par le président des États-Unis.


« Ce jour-là, Donald Trump a exigé que l’Ukraine signe avant ce jeudi, jour de Thanksgiving, un plan de paix en 28 points reprenant presque mot pour mot les demandes du Kremlin, faute de quoi Washington suspendrait l’aide militaire et le partage de renseignements. Il a cependant semblé reculer depuis sur l’idée d’une date butoir ferme.


« Le texte prévoit notamment la cession du Donbass aux forces russes.


« La proposition a été rejetée d’emblée par Kyiv et les Européens. Une réunion de haut niveau entre les délégations américaine et ukrainienne s’est tenue dimanche à Genève pour désamorcer l’ultimatum.


« Dans la foulée, mardi dernier, Rustem Umerov, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense, a annoncé que le président Volodymyr Zelensky se rendrait aux États-Unis pour rencontrer Donald Trump et finaliser des étapes clés de l’accord de paix.


Une trahison américaine

« Matthew Homiak, citoyen canadien issu de la diaspora ukrainienne et volontaire chez Dobrobat, peine à accorder la moindre crédibilité à ce « nouveau plan de paix ».


« Ce projet n’est, selon moi, qu’un moyen d’offrir à la Russie une sortie honorable en imposant à l’Ukraine une forme de capitulation. La démilitarisation, l’abandon de l’OTAN, la reconnaissance de la langue russe, prévus dans ce plan, ne sont que des étapes supplémentaires de la russification du pays, un processus vieux de plusieurs siècles. »


« Non loin de là, Marina, la gardienne de l’immeuble, partage ce scepticisme.


« Ses yeux bleus, cernés, et son visage rougi témoignent de la violence de la nuit. Elle extrait des décombres une puce métallique portant l’inscription en anglais « off, bat, engine ».


« On l’a retrouvée dans les restes du Shahed », explique-t-elle à propos du drone russe qui s’est écrasé sur l’immeuble.


« Vous voyez ? Des composants américains. Déjà qu’ils nous abandonnent, il ne manquerait plus que leur matériel se retrouve dans les bombes qui tuent nos enfants. »


Le HUR, les services de renseignement ukrainiens, rappelle qu’en dépit des sanctions américaines et européennes, près de 200 pièces et composants étrangers ont en effet été identifiés dans six types d’armements russes, dont les drones Shahed.


« Vladimir, un résidant, aide à balayer les débris et montre les restes de cartes supposément américaines retrouvées dans le drone Shahed. 


« Marina, comme Matthew, n’attend plus rien de Washington. « Je ne crois plus en eux. Vous savez ce qu’on dit : promettre de se marier ne signifie pas se marier. Seule notre armée peut nous sauver et nous protéger. En aucun cas les Américains. »


« Il reste un peu d’espoir »

Au bord du vide, là où s’ouvrait autrefois une baie vitrée donnant sur la silhouette de Kyiv, Oleksandr Maizen soulève le réservoir du drone Shahed extrait des décombres de l’appartement. Au fond de lui, il en est convaincu : seule la force arrêtera la Russie.


« Ces négociations de paix ne servent qu’à gagner du temps et ne résolvent rien. Trump et les Russes veulent nous forcer la main et nous faire accepter des conditions inacceptables que l’Ukraine a déjà refusées plusieurs fois. »


« Au premier étage, Marina, un thé entre les mains, tente de se réchauffer. Elle avoue ne plus savoir quoi penser. Ni de l’Ukraine, ni de son avenir, ni de son gouvernement. Encore moins du plan de paix américain.


«Tout cela joue avec nos nerfs. Un homme comme Trump ne comprend pas à quel point ses tergiversations nous atteignent moralement. Si nos vies n’étaient pas en jeu, on pourrait presque en rire.»


« Marina explique qu’elle n’a pas quitté l’Ukraine depuis le début de la guerre. « Ma fille vit à Odessa avec mon petit-fils. Ce n’est pas mieux qu’ici. C’est même pire. Des Shahed frappent la ville presque chaque jour. »


« Perdue dans ses pensées, elle murmure : « Rien de bon ne sortira de ce plan de paix, de toute manière. Ce qu’ils promettent est une chose, ce qu’ils font en est une autre. Il nous reste encore un peu d’espoir, mais plus beaucoup. »


Article intitulé

« Il nous reste encore un peu d’espoir, mais plus beaucoup »

Joseph Roche

collaboration spéciale

La Presse

publié le 26 novembre 2025 à 19h30

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