08 octobre 2025

Des raisons de ne pas désespérer


« Papa, est-ce que c’est vrai que le monde va brûler ? » lui a demandé un soir l’une de ses filles. Après l’avoir d’abord rassurée, Mathieu Bélisle a eu l’idée, pour lui répondre vraiment, de se lancer dans Une brève histoire de l’espoir, son cinquième livre.


« Pour prendre un peu de recul, pour s’éloigner d’une actualité incendiaire, souvent pessimiste, l’essayiste est allé puiser dans sa bibliothèque, cherchant dans l’histoire et le passé de l’aventure humaine un certain nombre de raisons d’espérer.


« Même si, au quotidien, les raisons de désespérer ne manquent pas : les changements climatiques, les guerres, les assauts contre la démocratie un peu partout dans le monde.


« Mais il ne sera à peu près pas question du 47e président des États-Unis dans ce livre, rassurez-vous, il n’y apparaît qu’en passant, comme une note de bas de page. « C’est pour aussi rappeler qu’il est mortel et que, de dix ans en dix ans, l’histoire peut nous étonner, fait remarquer Mathieu Bélisle en entrevue. Au temps d’Obama, personne ne soupçonnait ce qui nous attendait avec Trump, mais personne aujourd’hui ne soupçonne que, dans dix ans, il se peut très bien que l’on soit complètement ailleurs, que l’histoire ait pris un autre virage. »


« Face à tous les incendies et à toutes les calamités que l’on nous promet, l’essayiste, chroniqueur et professeur de littérature au collège Jean-de-Brébeuf, né en 1976 à Drummondville, tient à nous dire que le pire n’est pas certain. Pas encore. Même si nous avons tendance à ne pas penser que les choses pourraient aller mieux. « J’ai l’impression que, dans notre propre constitution, nous sommes programmés pour réagir davantage au danger. » Parce que, c’est bien connu, les raisons de s’inquiéter, les histoires de déclin et de crépuscule, les drames et les catastrophes attirent davantage l’attention des médias.


«Le risque de tous ces discours alarmistes, qui cherchent souvent à secouer l’opinion, croit Mathieu Bélisle, est qu’ils peuvent avoir l’effet exactement inverse de celui qui est recherché : nourrir le découragement, la résignation et le repli individualiste. « À ce moment-là, retirons-nous chacun dans nos terres, travaillons à notre petit bonheur, nourrissons notre petit espoir personnel, achetons-nous une île, si on est milliardaire, ou un bunker au Montana, et cessons de nous préoccuper du sort du monde. Parce que, de toute manière, c’est réglé, c’est fini. » 


[...]


Un livre comme un acte de foi

«Avec ce livre, proche de Ce qui meurt en nous (2022), mais très différent des précédents, tournés vers la culture québécoise et l’américanité triomphante (Bienvenue au pays de la vie ordinaire, L’empire invisible, 2017 et 2020), Mathieu Bélisle a l’impression d’amorcer un nouveau cycle, qui le mènera peut-être vers l’exploration de valeurs qui sont parfois négligées dans le discours, comme l’amour, la mort, la vie, l’espoir.


« Quand on se met à penser qu’il n’est pas trop tard, que la fin n’est pas imminente, à mon sens, c’est l’étape nécessaire pour recommencer à penser à long terme. Pour recommencer à vivre, non plus dans une sorte de présent qui tourne sur lui-même, mais en pensant à la suite. J’ai l’impression qu’il faut d’abord briser le pouvoir de la dystopie sur nous pour que revienne la possibilité de l’utopie. » Une utopie réaliste, qui ne serait pas l’incarnation du paradis sur la terre.


« Quelque chose qui nous apprendrait à être attentifs à la vie, en nous et autour de nous, dès maintenant. À la nature, aux gens, à la beauté du monde, à l’infiniment proche. « Tout ce qui nous relie au monde et qui fait que l’on veut, au quotidien, rendre ce monde habitable. » Même s’il nous faudra peut-être passer par une grande catastrophe, ajoute Mathieu Bélisle, pour que cela advienne.


« Évoquant les révolutionnaires du XIXe siècle, saoulés à l’avenir et au progrès, technique autant qu’humain (George Sand : « L’espoir, c’est la foi de ce siècle. »), Mathieu Bélisle s’étonne : « Que voyaient tous ces gens que nous ne voyons plus ? » Du rêve, nous sommes, dirait-on, passés au cauchemar. L’euphorie de ces visionnaires a fait aujourd’hui place à une sorte de cécité inquiète. « Il y a quelque chose dans ce siècle-là qu’il faut aller retrouver. Il faut retrouver une sorte de foi, de confiance. Et comprendre aussi que l’espoir n’a de valeur que s’il nous mène à une forme d’action. »


« Il n’en demeure pas moins que, pour Mathieu Bélisle, qui se défend d’entretenir une vision jovialiste du présent, la peur est encore plus contagieuse que la peste. « Il faut agir, et non parler », estimait Jean-Paul Sartre. Même pour quelqu’un d’aussi désespéré que Cioran, écrire un livre est un acte de foi. L’essayiste a-t-il eu pour sa part l’impression d’agir ou de parler en faisant ce livre ? « Les discours ont un effet sur le réel. Toutes les révolutions commencent par quelqu’un qui prend la parole, quelqu’un qui se dresse souvent à l’encontre de l’humeur générale d’une époque, et qui dit : “je fais un acte de foi”. J’aime penser que ce livre est une parole-geste, mais c’est aux lecteurs et aux lectrices de la décider. »


« Dans un sens, depuis toujours, la littérature fait le pari de la suite du monde. Pour moi, c’est capital. Il faut peut-être renouer simplement avec ce que la littérature fait de mieux : apprivoiser l’incertitude. » L’incertitude qui vient du fait, ajoute Mathieu Bélisle, que jamais on ne saura exactement de quoi est fait l’avenir.


Christian Desmeules

Article sur le livre intitulé

Une brève histoire de l’espoir

de Mathieu Bélisle

Le Devoir

le 6 octobre 2025

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