« Après avoir bloqué l’entrée de toute aide humanitaire dans la bande de Gaza pendant plusieurs mois, Israël a annoncé dans la nuit de samedi à dimanche que son armée permettrait de nouveau la venue de vivres et de médicaments sur le territoire aux prises avec de graves pénuries de nourriture et de médicaments. Est-ce trop tard pour les Gazaouis, qui souffrent d’une famine qui semble se généraliser à une majeure partie de la population ? Pas nécessairement, mais plusieurs facteurs laissent planer un doute sur l’efficacité de cette nouvelle aide, estiment les experts interrogés par Le Devoir.
« C’est un pas dans la bonne direction », affirme d’emblée François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire, associé à l’Université du Québec à Montréal. Selon ce dernier, « il y a un risque important que ça [la fin de la famine] prenne beaucoup plus de temps que prévu et qu’il y ait encore des morts inutiles ».
« C’est vraiment une famine politique, volontaire, et qui donc peut se résorber rapidement de manière aussi systématique, politique et opérative », dit l’expert en aide humanitaire. Or, pour y parvenir, il faut une distribution qui « respecte les standards internationaux, qui soit faite par des opérateurs professionnels et par des organisations qui respectent l’impartialité ».
« Avec des organisations comme la Croix-Rouge ou les Nations unies, cela pourrait être le cas, mais les premières informations provenant de la bande de Gaza indiquent le contraire. Dimanche, certains camions ont commencé à traverser la frontière depuis l’Égypte, mais la majorité des vivres ont été parachutés sur le territoire par l’armée israélienne. Une pratique qui favorise une distribution plus aléatoire tout en étant peu sécuritaire dans un endroit à haute densité de population comme Gaza, souligne François Audet.
Une coordination « impartiale »
« Dans des cas de famine aussi aiguë que celle qu’on observe actuellement à Gaza, les gens n’ont pas seulement besoin d’aliments, mais aussi des bons aliments aux bonnes personnes. Parce que les gens qui ont été mal nourris pendant longtemps peuvent avoir, par exemple, des réactions à de la nourriture qui n’est pas appropriée », explique-t-il.
« La coordination au sol aussi est nécessaire : ce n’est pas parce qu’on parachute de la nourriture qu’elle est bien distribuée et qu’elle sera gérée adéquatement », poursuit M. Audet en donnant l’exemple d’une personne plus vulnérable qui n’aurait pas l’énergie ou la possibilité d’accéder à la nourriture sans une coordination adéquate.
« Un principe semblable s’applique aux livraisons par le sol, qui devraient être distribuées par des organismes qui « ont la capacité de pouvoir répondre adéquatement, de cibler les populations les plus vulnérables le plus rapidement possible, afin qu’il y ait ensuite une percolation sur l’ensemble de la population », explique François Audet.
« Pour ce dernier, il est surtout important qu’Israël ne coordonne pas l’aide humanitaire sur le terrain. « On a vu par le passé que les opérations organisées par l’armée israélienne étaient complètement inadéquates et ne répondaient pas du tout aux principes humanitaires », souligne-t-il.
« Or, « Israël a vraiment une position très critique à l’égard des Nations unies », souligne Sami Aoun, directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand.
« Israël pourrait aussi vouloir contrôler la distribution de l’aide humanitaire, car, pour justifier son blocus, le pays affirmait que les vivres pourraient être détournés par le Hamas. « C’est possible, mais s’ils s’organisaient justement avec des organisations neutres, on diminuerait ce risque-là », note M. Audet.
« Israël a créé volontairement cette famine-là, et c’est à lui maintenant de s’assurer de l’arrêter », résume l’expert.
Pourquoi mettre fin au blocus maintenant ?
« Israël et son premier ministre, Benjamin Nétanyahou, n’avaient « pas le choix » de rouvrir la porte à l’aide humanitaire, affirme Sami Aoun. « Il y avait une pression internationale énorme, mais aussi intérieure et provenant de pays médiateurs, comme le Qatar, qui fait que M. Nétanyahou se sent sous pression », indique le politologue expert du Moyen-Orient. La pression est particulièrement importante de la part des États-Unis et de Donald Trump, note-t-il.
« La décision de rouvrir l’accès à l’aide humanitaire survient à un moment en politique interne israélienne où, pour Benjamin Nétanyahou, « la crainte de la chute de son gouvernement est devenue presque inexistante », poursuit M. Aoun. « Alors, c’est en ce sens qu’il a plié un peu sous la pression mondiale et surtout sous la pression américaine. »
« Est-ce qu’Israël pourrait décider de refermer la porte à l’aide humanitaire ? C’est une possibilité selon Sami Aoun, qui estime qu’Israël pourrait utiliser la reprise du blocus comme un outil de négociation avec le Hamas.»
Article intitulé
L’aide humanitaire à Gaza pourra-t-elle mettre fin à la
famine ?
Léo Mercier-Ross
Le Devoir
le 27 juillet 2025
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