12 juillet 2025

Faut-il traiter le président comme s'il était roi ?

« Daddy’s home. Le 25 juin dernier, la Maison-Blanche a publié sur son compte X une vidéo qui résumait le passage de Donald Trump au sommet de l’OTAN sur la musique d’Usher. Pourquoi cette musique ? Lors d’un entretien, le « nouveau secrétaire général de l’alliance, Mark Rutte, avait qualifié Trump de daddy, au grand plaisir du principal intéressé.


« Le même Rutte – qui fut pendant 14 ans premier ministre des Pays-Bas – offrit ensuite un entretien au New York Times où il rivalisa d’ingéniosité pour chanter les louanges du président américain, jusqu’à transformer celui-ci, qui ne cessa de critiquer l’alliance atlantique, en son sauveur.


« Mark Carney, lui aussi, flatta Trump lors d’un entretien hivernal où la relation canado-américaine fut, pourtant, à peine abordée devant les caméras. Keir Starmer surprit Trump en lui offrant une invitation au palais de Buckingham, tandis que Benyamin Nétanyahou, plus récemment, voulut lui plaire en le proposant pour le prix Nobel de la paix. Pour ne rien dire des pétromonarchies du Golfe qui, de jet plaqué or en accueils en grande pompe, sont les maîtres indubitables de la flatterie.


Prendre de l’avance sur la réalité

« Aussi bien dire que le président américain est de plus en plus traité, sur la scène internationale, comme un monarque absolu. Tous craignent ses foudres et agissent comme si seule sa volonté faisait loi, comme si Congrès et tribunaux n’existaient plus. Suspendus à ses paroles, scrutant ses moindres sautes d’humeur, voulant à tout prix lui plaire, nous adoptons les réflexes psychologiques des sujets de pires tyrannies. Nous prenons de l’avance sur les faits.


«Nous oublions qu’en réalité, le président demeure contraint – et que c’est notre soumission préventive qui risque de lui donner un pouvoir qu’il n’a pas.


« Car c’est là le paradoxe : Donald Trump ne possède pas tous les pouvoirs. Il est contraint aussi bien par les lois que, plus fortement, le contexte actuel et les intérêts en présence aux États-Unis. Considérons quelques exemples. Une loi votée en 2023 interdit explicitement au président de quitter l’OTAN sans l’accord du Congrès. S’il dispose certes de certains pouvoirs en matière de droits de douane, les pressions du milieu des affaires et des marchés boursiers pèsent lourd sur sa capacité réelle de les mettre en place et son pouvoir d’imposer des mesures tarifaires est contesté devant les tribunaux. Engagés en Ukraine depuis 41 mois, les États-Unis ne peuvent s’en retirer d’un geste – et ils n’ont aucun intérêt à soulager la Russie de ce fardeau militaire.


« Remarquez combien, par rapport à tous ces enjeux, la politique concrète du président demeure beaucoup plus modérée que ses effets d’annonce.


« La catastrophe annoncée ne s’est pas complètement produite. En politique extérieure, Trump n’a cessé de rétropédaler. Ces derniers mois ont montré que l’empereur n’est pas complètement nu, mais qu’il est aussi loin d’être aussi puissant qu’il veut bien nous le faire croire – il est temps d’en prendre acte et de négocier à la lumière des faits, et non des fantasmes.


Accepter le pouvoir ?

« Après tout, le pouvoir est une chose curieuse. Max Weber le définissait comme la capacité d’influencer les actions d’un autre par sa seule volonté. Pour fonctionner, le pouvoir suppose ainsi l’assentiment de ceux qui s’y soumettent, mais en obéissant, ils confirment la réalité du pouvoir. Cette phrase qu’on attribue à Étienne de La Boétie le résume bien : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Plus nous nous mettons à genoux, plus les tyrans sont grands. Il est pourtant possible – mais, oui, très difficile – de se relever.


« En qualifiant Trump de daddy, Rutte renforce l’autorité de celui-ci. En abolissant la taxe numérique ou en promettant 5 % du PIB en dépenses militaires sans réelles contreparties pour l’instant, le Canada croit flatter – mais abdique trop tôt ses prérogatives souveraines, avant même de tester la menace. Lorsque les élus républicains votent pour une loi massive qui s’oppose à plusieurs de leurs valeurs, ils consacrent la mainmise du président sur leur parti, craignant une très hypothétique défaite électorale. Chaque concession est un aveu de faiblesse qui renforce le mythe du président Trump et contribue à le faire plus grand qu’il n’est.


Appel à la fermeté

« La bonne stratégie à adopter est pourtant toute contraire. À l’image de la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, qui privilégia depuis le début la voie de la fermeté et conserva son honneur entier sans conséquences désastreuses pour son pays, nous devons refuser de traiter le président comme s’il était déjà roi. Son palais a beau se trouver dans le Sunshine State, il n’a rien du Roi-Soleil. En théorie, il demeure assujetti aux lois, aux institutions et aux parlementaires, malgré toutes les largesses de la Cour suprême américaine.


Le danger n’est pas de déplaire à Donald Trump – c’est de lui céder un pouvoir qu’il ne possède pas.

...


Article intitulé

Plaire au prince, mais à quel prix ?

Georges Mercier

Doctorant en science politique

La Presse

le 11 juillet 2025

...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire