« Corinne Le Quéré n’a aucun doute : l’humanité dispose déjà de tout ce qu’il faut pour réduire rapidement ses émissions de carbone. Depuis près d’une décennie, cette climatologue québécoise — une sommité dans son domaine, citée plus de 80 000 fois par ses pairs — orbite autour des hauts cercles du pouvoir, en France et au Royaume-Uni, pour accélérer l’action climatique.
« J’essaie d’aider les gouvernements à prendre les mesures les plus ambitieuses possibles, mais toujours dans le cadre d’un plan à long terme », explique Mme Le Quéré, 59 ans, de passage au Québec ces jours-ci pour voir sa famille et recevoir un doctorat honorifique de l’Université de Montréal.
« Attablée dans un café de la métropole, celle qui habite en Europe depuis 1996 ne mâche pas ses mots à l’endroit du Canada : le pays « hésite trop » dans la transition énergétique, « il va manquer le coche », pendant que la Chine consacre 10 % de son économie aux énergies renouvelables. Le Québec fait un peu mieux, mais les progrès demeurent « trop lents » par rapport à des pays européens comparables — surtout dans le contexte où, depuis deux ans, les technologies de l’électrification connaissent un essor phénoménal, souligne l’influente chercheuse.
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Le carbone et l’océan
« Corinne Le Quéré a grandi à Gatineau, auprès d’un père originaire de France et d’une mère québécoise. Sa famille, indépendantiste, passait beaucoup de temps en nature, à profiter des lacs et de la forêt. Jeune adulte, Corinne envisageait de devenir enseignante d’éducation physique, mais, ratant la date d’inscription d’une journée, elle s’est plutôt retrouvée en physique à l’Université de Montréal, ce qui allait donner son envol à sa formation scientifique. « La physique, c’est le pilier de ma manière de penser », juge-t-elle aujourd’hui, reconnaissante envers son alma mater.
« Ayant attrapé la piqûre de la science, elle a ensuite poursuivi des études en sciences atmosphériques et océaniques à l’Université McGill, achevées en 1992. Puis, elle a travaillé comme assistante de recherche à l’Université de Princeton auprès de Jorge Sarmiento, un géant de l’océanographie. Mme Le Quéré a développé dans son laboratoire un modèle servant à calculer l’absorption de carbone par les océans. Elle a ensuite décroché son doctorat à l’Université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, en 1999.
« Au début des années 2000, elle a découvert que l’océan Austral, qui ceinture l’Antarctique, perdait de son potentiel à absorber du carbone de l’air à cause des changements climatiques. Les vents, fortifiés par le réchauffement, accélèrent la remontée des eaux profondes riches en carbone, ce qui rend la surface moins apte à avaler le CO2 atmosphérique. Un cercle vicieux. Heureusement, selon les données les plus récentes, le rétablissement de la couche d’ozone renverse une partie de cet inquiétant phénomène.
« En entrevue, Mme Le Quéré se montre sérieuse, mais chaleureuse. Elle n’est pas pessimiste. Elle constate que les « pires scénarios climatiques », les 5 °C de réchauffement envisagés au début de sa carrière, sont désormais improbables. Une vingtaine de pays industrialisés diminuent leurs émissions tout en ayant une économie vigoureuse. Il demeure que la planète n’est pas à l’abri de certains «points de basculement », qui pourraient entraîner une réorganisation abrupte et irréversible d’un aspect du climat mondial. « Ça m’inquiète beaucoup », avoue-t-elle. Une transition de la forêt boréale vers un régime de feu très rapide est l’un des basculements redoutés.
« Pendant que l’humanité s’efforce de profondément réduire ses émissions, il est aussi « absolument essentiel » qu’elle commence à capter et à séquestrer du carbone atmosphérique, croit Mme Le Quéré. La reforestation peut jouer un rôle, mais ne pourra jamais être une solution universelle: les arbres plantés peuvent brûler et ils occupent de l’espace au détriment de l’agriculture. D’autres options, qui reposent sur le stockage du CO2 atmosphérique dans le sous-sol et dans l’océan sont aujourd’hui en plein développement. Dans quelques décennies, elles pourraient compenser les émissions de l’aviation et de l’agriculture, difficiles à faire descendre à zéro, indique la scientifique.»
Extraits de l’article signé Alexis Riopel et intitulé
De Londres à Paris, une climatologue québécoise éclaire les décideurs européens
Le Devoir
le 23 août 2025
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