Pour un homme de 31 ans, Charlie Kirk jouissait d’une influence politique incomparable.
« Pas très connu en dehors des États-Unis, et même dans son pays il y a encore trois ou quatre ans, ce « nationaliste chrétien » était un personnage clé dans l’orbite de Donald Trump.
« Aussi, son assassinat est un coup de tonnerre dans l’univers MAGA.
« Au printemps 2024, j’avais visité l’église où Kirk avait pratiquement son quartier général. À moitié preacher chrétien évangéliste, à moitié influenceur politique, l’homme pouvait remplir l’immense Dream City Church, en banlieue de Phoenix.
« À 18 ans, il avait fondé un groupe visant à contredire le discours de gauche sur son campus universitaire en Illinois. C’est devenu 10 ans plus tard « Turning Point », une organisation puissante et riche. Il était capable de remplir ces méga-églises de jeunes conservateurs et de les mobiliser politiquement. Sans être un pasteur, il mêlait avec brio les propos religieux et politiques.
« Caleb Campbell, un pasteur qui avait vu son église de Phoenix se vider après l’arrivée de Donald Trump, m’avait expliqué combien le phénomène était profond. Combien le discours de Kirk répondait aux anxiétés de disparition, d’envahissement devant les immigrants.
« Kirk justifiait le droit de porter une arme à feu non seulement par la Constitution, mais aussi par la Bible. C’était un droit issu de la volonté de Dieu, en somme.
« Kirk a souvent fait parler de lui pour ses propos radicaux contre les politiques « anti-Blancs » et « marxistes » des démocrates. Il ne se gênait ni dans ses rassemblements ni dans les balados où il avait un large auditoire.
« Il avait le mérite d’être logique dans sa défense absolue du droit de porter une arme : oui, il y aura malheureusement des morts innocentes par balles, mais c’est le prix à payer pour ce droit. « Malheureusement, quelques morts par arme à feu chaque année surviendront pour que nous puissions avoir le deuxième amendement et protéger nos droits donnés par Dieu. »
« Mercredi [le 10 septembre 2025], il est devenu l’une de ces centaines de milliers de victimes annuelles de la violence armée dans son pays. Comme les deux enfants du primaire tués par un type dérangé il y a deux semaines dans une église du Minnesota. Comme les adolescents atteints par balle à leur école du Colorado à peu près en même temps.
Sauf que dans son cas, il s’agit d’un attentat politique.
« L’assassinat de Charlie Kirk signale à quel point la violence politique est redevenue « normale » aux États-Unis.
« Elle n’a jamais vraiment été indissociable de la vie politique américaine, où quatre présidents ont été tués, deux atteints par balles, et presque tous les autres depuis 150 ans ont fait l’objet de complots assez sérieux pour donner lieu à des accusations.
« Mais après des années 1960 particulièrement tragiques, le pays semblait à la fois moins naïf et moins mortel politiquement.
« On ne peut plus parler maintenant d’incidents isolés à la lumière de la dernière année. Le candidat Trump est passé à un millimètre de la mort en juillet 2024, parce qu’il a miraculeusement tourné la tête au bon moment. Une deuxième tentative d’assassinat contre lui a été déjouée de justesse deux mois plus tard.
« À cela on peut ajouter depuis un an seulement l’incendie de la résidence du gouverneur de la Pennsylvanie, Josh Shapiro, l’assassinat par balles d’une élue du Minnesota, l’attentat contre les employés de la Santé publique au siège social d’Atlanta (tuant un policier) par un « antivax », et j’en passe, car la liste est longue.
***
« Même dans les sondages d’opinion, on a observé une acceptation plus large de la violence politique aux États-Unis. Le discours sur une possible « guerre civile » a été jugé moins marginal tout d’un coup.
« Tout ça au moment où le président fait appel à l’armée supposément pour contrôler le crime dans de grandes villes.
« Ce crime spectaculaire, glauque, est donc bien plus qu’une autre fusillade, à laquelle l’opinion réagit de moins en moins, même dans une université, même dans une école primaire.
« C’est une sorte de signal d’alarme de l’état dégradé des choses démocratiques.
« On entend déjà des appels au calme de toutes parts… mais aussi, comme à la Maison-Blanche, des dénonciations de la « gauche radicale », qui serait selon lui responsable de ce crime.
« Il faudrait être bien trop optimiste pour penser que ce crime n’aura pas de suite, tout aussi tragique, tout aussi politique.»
Chronique intitulée
La violence politique «normale» - encore plus
Yves Boisvert
La Presse
le 11 septembre 2025
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