« Vous me savez écologiste, très inquiet pour l’avenir de la planète. J’ai proposé, en politique comme à l’écrit, une action robuste pour réduire les gaz à effet de serre (GES), pour que le Québec fasse le maximum pour participer à l’effort mondial pour éviter le pire. Maintenant, c’est fini. J’« aggiornamente ». Ce n’est pas de gaieté de cœur. Mais il faut ce qu’il faut.
« Je ne suis pas le seul. Le grand prêtre de la mobilisation environnementale canadienne, David Suzuki, est sorti du placard vert cet été, dans une entrevue au site iPolitics qui n’a pas fait assez de bruit.
« Il fait un bref récit de la période d’espoir. En 1988 à Toronto, une grande conférence sur le changement climatique réunissant 40 gouvernements et 300 scientifiques avait conclu, se souvient-il, « que le réchauffement climatique représentait la deuxième plus grande menace pour l’humanité, juste après la guerre nucléaire mondiale ». La conférence avait posé les bases de ce qui allait devenir le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et la première grande rencontre internationale de Kyoto et recommandait une réduction de 20 % des GES avant 2005.
« Si le monde avait suivi les conclusions de cette conférence, soupire Suzuki, nous n’aurions pas le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui et nous aurions sauvé des milliards de dollars et des millions de vies. Maintenant, il est trop tard. Je n’ai jamais dit cela aux médias auparavant, mais c’est trop tard. »
« Son pessimisme est étayé par l’évolution du réel, évidemment, mais précisément par les indicateurs élaborés en 2009 par une équipe menée par le chercheur suédois Johan Rockström. Selon lui, la Terre sera viable, pour nous, les humains, si nous ne franchissons pas neuf barrières planétaires portant notamment sur la concentration en CO2 de l’atmosphère, le rythme d’extinction des espèces, l’acidification des océans, le niveau de déforestation ou d’utilisation des eaux douces. Au dernier compte, nous en avons franchi sept. La Terre, pense Rockström, est en « situation critique ». L’élection de Donald Trump a fait le reste, plantant « un poignard dans mon cœur », dit Suzuki. Avec raison.
« Que propose-t-il pour la suite ? Hunker down, se mettre à l’abri, dit-il. Puisqu’on ne peut plus arrêter le changement, il faut se préparer à y survivre. Prévoir l’impact local du changement, élaborer des stratégies pour contenir inondations, incendies, érosion des berges, rupture des chaînes d’approvisionnement, etc.
« Quelle conclusion faut-il en tirer pour le Québec ? À mon avis, il faut repenser nos orientations et rediriger nos efforts. Il ne sert plus à rien d’investir dans la réduction des GES en soi. Notre contribution est insignifiante dans le bilan mondial du réchauffement. Tous les budgets doivent être dirigés vers l’adaptation, principalement locale, aux changements à venir.
« Notre situation énergétique est cependant particulière. Nous importons la totalité des énergies fossiles que nous consommons. Chaque baril importé nous appauvrit. Chaque baril remplacé par des kilowatts d’électricité produits ici est un facteur d’enrichissement.
« Ce n’est donc plus pour sauver la planète, c’est trop tard, mais pour nous donner les moyens de survivre aux chocs à venir qu’il convient de décarboner. Bien plus qu’ailleurs, la voiture électrique est pour nous un gain net. C’est vrai aussi pour la réduction du nombre de voitures en soi. Et je ne comprends toujours pas pourquoi nous n’avons pas un programme national d’incitation au covoiturage, de subventions à l’utilisation des voitures partagées, d’un service québécois d’autobus interurbains à moindre coût. Je suis même prêt à ce que l’État offre des crédits d’impôt pour l’utilisation de taxis ou d’Uber électriques. Les huit ans gaspillés par la Coalition avenir Québec (CAQ) dans le développement du transport en commun sont une des principales raisons de mettre tous ses députés à la retraite dans 12 mois.
« Bref, pour nous, le tout électrique signifie aussi résilience et autosuffisance. Au risque de provoquer syncopes et anévrismes chez mes lecteurs écologistes, j’affirme aussi qu’au nom de l’autosuffisance, si on trouve chez nous un gisement de pétrole ou de gaz qui passe le double cap du BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) et de l’acceptabilité locale, alors drill, Quebec-baby, drill. Ce sera toujours moins énergivore que le pétrole albertain qu’on importe aujourd’hui, et ce sont des sous qui resteront chez nous.
« Que faire avec le marché du carbone ? Si le Québec n’était pas doté d’une énergie renouvelable, on pourrait s’en passer. Mais puisque, dans notre cas, notre résilience et notre autonomie dépendent de la réduction du pétrole importé, l’effet net du marché du carbone est cohérent avec nos nouveaux objectifs. Et nous avons besoin des revenus du marché du carbone pour financer notre adaptation.
« Nous entrons dans une ère de montagnes russes climatiques. Nous allons être testés. Par le feu, par l’eau, par les vents et tornades. C’est comme ça, il faut s’y faire. Les Québécois, comme les autres peuples nordiques, ont une longueur d’avance, car chaque année ils passent de la canicule à la glaciation et en ressortent resplendissants chaque printemps. L’adaptation est dans notre ADN. Mettons-la maintenant dans nos politiques publiques.»
Chronique intitulée
Aggiornamento environnemental
Jean-François Lisée
Le Devoir
le 4 octobre 2025
Chère Rachel!
RépondreSupprimerTu as malheureusement bien raison… tellement triste!
Merci Liette
Bonjour Liette, en effet, il est trop tard, il ne nous reste qu'à nous adapter hélas, c'est dans notre ADN comme le dit l'auteur !
Supprimer