17 octobre 2025

Comprendre - L’extrême droite gagne du terrain, que faire ?


Il s’est passé quelque chose de lourd de sens à Londres le mois dernier : 115 000 personnes ont participé à une manifestation organisée par l’extrême droite britannique.

« Le professeur David Morin observe les mouvements d’extrême droite depuis une vingtaine d’années. La professeure Ruth Dassonneville, depuis une dizaine d’années. Les deux ne se rappellent pas une manif d’extrême droite aussi importante en Europe.


« La manif du 13 septembre à Londres « est une démonstration de force de l’extrême droite, qui arrive à capitaliser sur la colère et des inquiétudes réelles d’une partie de la population, notamment sur le niveau de vie et l’immigration », dit David Morin, titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent de l’Université de Sherbrooke.


« La manifestation de Londres a été organisée par Tommy Robinson (Stephen Yaxley-Lennon de son vrai nom), un militant d’extrême droite avec un passé criminel (il a été condamné entre autres pour violence, fraude en immigration, outrage au tribunal). Plusieurs figures associées à l’extrême droite, dont Elon Musk et Éric Zemmour, se sont adressées à la foule. Vingt-cinq manifestants ont été arrêtés. Vingt-six policiers ont été blessés.


Qu’est-ce que l’extrême droite ?

« Même s’il n’existe pas une définition unique de l’extrême droite, la plupart des experts s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une philosophie politique qui présente une majorité des caractéristiques suivantes : valorisation exacerbée de l’identité nationale historique, rejet par principe de toute forme de progressisme, tendance à l’autoritarisme, aversion à l’égard des contre-pouvoirs, aversion à l’égard des droits des minorités, tendance à ne pas toujours respecter les règles du jeu démocratique et les institutions. Un discours d’extrême droite prétend souvent que le groupe ethnique majoritaire historique est menacé de l’intérieur (par exemple, par les minorités) ou de l’extérieur (par exemple, par l’immigration).


« Bien sûr, il est tout à fait sain dans une démocratie de critiquer la politique d’immigration d’un gouvernement ou de réfléchir à la capacité d’accueil et aux seuils de façon sensée et factuelle. Or, à la manifestation de Londres, plusieurs orateurs étaient à fond dans les discours racistes.


« Voici ce qu’a dit Tommy Robinson à la foule : « Ce n’est pas juste l’Angleterre qui est envahie. Ce n’est pas juste l’Angleterre qui est violée. Toutes les nations occidentales font face au même problème : une invasion et un remplacement orchestrés et organisés des citoyens européens sont en cours. »


« Tommy Robinson s’adresse à la foule réunie dans le centre de Londres en marge de la manifestation Unite the Kingdom, en septembre. 


« C’est un discours raciste. Et bien sûr, c’est faux. Il n’y a pas de « grand remplacement », une théorie conspirationniste d’extrême droite selon laquelle les élites des pays occidentaux organiseraient la substitution de leurs populations historiques par les populations immigrantes.


« Dans les faits, c’était une manif organisée par des figures d’extrême droite, avec des thèmes classiques de l’extrême droite comme des discours anti-immigration et anti-élites », constate le professeur David Morin.


« Ça ne veut pas dire que les 115 000 personnes réunies à Londres sont toutes des partisans de l’extrême droite.


« La journaliste du Guardian Helen Pidd a passé l’après-midi à interviewer des gens sur place. Ses observations ? Certaines personnes ne cachaient pas leur racisme – ils l’affichaient même avec « fierté ». Mais la plupart des participants étaient plutôt des gens qui ont le sentiment que le pays ne fonctionne plus. Au lieu de blâmer l’austérité des gouvernements ou le système capitaliste, ils blâment les immigrants, a-t-elle constaté. Et ils ne craignent plus d’être associés à l’extrême droite1.


« De plus en plus de gens n’ont plus peur d’exprimer des attitudes racistes en matière d’immigration », dit Ruth Dassonneville, professeure de sciences politiques à l’Université KU Leuven, en Belgique.


« Des discours considérés comme marginaux et tabous il y a 10 ans sont aujourd’hui assez courants dans l’espace public.


« Il y a clairement eu un changement de paradigme, constate aussi le professeur David Morin. L’extrême droite a réussi à dédiaboliser et à normaliser une partie de son discours. »


« Ça ne sert à rien de se mettre la tête dans le sable : l’extrême droite progresse dans nos démocraties occidentales. Elle parvient de plus en plus à catalyser les frustrations légitimes d’une partie de la population, qui ne se sent pas écoutée, qui voit son niveau de vie diminuer, et qui a de moins en moins confiance en ses institutions.


« L’Italie a une première ministre issue de l’extrême droite depuis 2022. L’été dernier, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un parti d’extrême droite était en tête des sondages en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Aux États-Unis, Donald Trump dirige un gouvernement d’extrême droite, estime Ruth Dassonneville.


« Cette radicalisation vers l’extrême droite est très inquiétante pour l’avenir de nos démocraties.


Or, on peut garder espoir et agir

« Tout d’abord, il faut se rappeler collectivement que l’extrême droite promeut le racisme et la déshumanisation.


« Il faut aussi se rappeler que les régimes autoritaires, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche, donnent généralement des résultats catastrophiques pour les citoyens. L’Allemagne et l’Italie dans les années 1930 et 1940. L’URSS, tombée en 1991. Cuba. Le Venezuela.


« Lorsqu’elle a été au pouvoir ces dernières années [par exemple, au Brésil, en Pologne, en Hongrie], l’extrême droite n’a pas fait la démonstration qu’elle était efficace sur le plan économique et social, dit David Morin. Par contre, elle fait reculer les droits et libertés et augmente les polarisations sociales. »

« Enfin, et c’est peut-être le meilleur argument contre l’extrême droite : les citoyens vivant dans des démocraties libérales dotées d’un État de droit en bonne santé sont en général plus heureux et plus riches que les citoyens vivant dans des régimes autoritaires.


« À long terme, les démocraties libérales offrent une meilleure croissance économique que les régimes autoritaires, selon une étude de politicologue américain John Gerring2.


« Le magazine The Economist classe pour sa part les pays selon l’état de santé de leur démocratie. Généralement, les démocraties ont aussi les citoyens les plus heureux, constate-t-on si on regroupe les classements de The Economist et du Rapport mondial sur le bonheur3.


« Sur le plan individuel, on peut aussi tenter de réduire le clivage – qui alimente les extrêmes – autour de soi.


« La montée de l’extrême droite est un symptôme de la polarisation de plus en plus importante, dit Ruth Dassonneville. Tout le monde peut essayer de réduire la polarisation en parlant avec d’autres gens, en écoutant ce qu’ils ont à dire, en ayant des débats moins émotifs, plus constructifs. »


Chronique intitulée

L’extrême droite gagne du terrain. On fait quoi ?

Vincent Brousseau-Pouliot

La Presse

le 16 octobre 2025

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