14 octobre 2025

Tourterelle sur toit pentu


Il y avait de quoi s’enthousiasmer lundi en regardant les images en provenance du Moyen-Orient. Enfin, des larmes qui portaient en elles la joie et non la douleur. Enfin, un peu de soulagement après deux ans d’un supplice à n’en plus finir.    


« Sur la « place des Otages » à Tel-Aviv, le champagne coulait à flots alors que les 20 derniers otages vivants qui étaient retenus par le Hamas à Gaza depuis le 7 octobre 2023 rentraient en Israël en hélicoptère et retrouvaient leurs familles.


« À Ramallah, en Cisjordanie, les applaudissements et les sifflements enterraient le bruit des autocars de la Croix-Rouge qui ramenaient dans le territoire occupé 88 Palestiniens qui avaient été condamnés à perpétuité par l’État hébreu. À Khan Younès, dans la bande de Gaza, ce sont des coups de feu de célébration qui ont accueilli 1700 Palestiniens ayant été remis en liberté après avoir été détenus par Israël sans avoir de procès.


« La liesse, qui faisait du bien à voir, a cependant monté trop vite à la tête du président américain, qui s’est rendu en Israël avant de mettre le cap sur l’Égypte pour récolter les applaudissements.


« Nous avons enfin la paix au Moyen-Orient ! », s’est exclamé Donald Trump dans une de ses plus grandes exagérations à ce jour. Et l’homme est pourtant le maître de l’hyperbole !


« Bien sûr, il y a lieu de se réjouir du cessez-le-feu entre le Hamas et Israël. Bien sûr, il faut espérer que le processus entamé ouvrira la voie à un accord de paix durable, mais nous en sommes encore loin, très loin. Pour le moment, Donald Trump vend une paix dont il n’a pas encore accouché.


« Sur un plan de paix en 20 points mis de l’avant par son administration, il n’y a que la première étape qui a été franchie. Tout comme lors du précédent cessez-le-feu qui a duré moins de deux mois au début de l’année. Son interruption a donné lieu à une escalade sans précédent de l’opération militaire israélienne à Gaza, à un embargo total sur l’aide humanitaire, mené à une famine et à des accusations de génocide de la part d’organisations crédibles, d’Amnistie internationale à l’Association des chercheurs en génocide. Et tout ça pendant que le Hamas restait campé sur ses positions, faisant fi des souffrances inouïes qu’encaissaient la grande majorité des deux millions de Gazaouis laissés pour compte.


« Les plus gros points de discorde restent encore à négocier. Notamment, même si le plan de paix offre une amnistie aux membres du Hamas qui sont prêts à déposer les armes, ces derniers laissent entendre dans les coulisses qu’ils n’ont aucune intention de tirer leur révérence. De céder le contrôle de Gaza.


« Et que dire des prochaines étapes dans le retrait des forces israéliennes de l’enclave ? Ou encore de la reconstruction du territoire palestinien qui est dévasté et dont la majorité des routes sont impraticables, rendant la livraison d’aide toujours périlleuse, malgré la fin des bombardements ?


« Il y a pour le moment de belles promesses, mais pas encore de plans concrets. Les possibilités de dérapages et de retours en arrière sont aussi nombreuses que les blessures des deux dernières années.


« Mais ne nous noyons pas immédiatement dans la mer Méditerranée du pessimisme. Il y a aussi quelques avancées notables en marge de ce cessez-le-feu, à commencer par la mobilisation d’une vingtaine de dirigeants qui se sont retrouvés en Égypte lundi autour des présidents américain et égyptien. Le Canada, la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie sont à table avec la Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite, le Pakistan et l’Indonésie, pour ne nommer que ceux-là.


« Cette large coalition a le pouvoir de faire la différence si elle garde le cap, si elle a le courage de transformer de beaux mots en actions concrètes.


«Le problème, c’est qu’au cours des derniers mois, alors que le monde entier assistait à un massacre de la population palestinienne en direct, tout ce beau monde a prononcé des discours outrés en restant les bras croisés, espérant ne pas déplaire au président américain.


« Qu’arrivera-t-il si ce dernier, ayant déjà décrété le retour de la paix au Moyen-Orient, se détourne de cette région du monde pour jeter son dévolu ailleurs ? Ou s’il change d’idée et relâche la pression qu’il exerce actuellement sur le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou ?


«Le champagne tournera vite au vinaigre.»


Chronique intitulée

Vendre la paix avant de l’avoir méritée

Laura Julie Perreault

La Presse

le 14 octobre 2025

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire