« Il neige. C’est beau. Des millions de flocons tombent du ciel. Une pluie de confettis comme lorsqu’on gagne à Star Académie. Des milliers de poignées de grains de riz comme ceux qu’on lance à ceux qui se marient. Quand il neige, on est tous des mariés qui sortent de l’église éblouis.
« La neige, c’est de la poésie. Surtout quand on la regarde à l’abri. Dans notre nid. Peu importe la date, on est en 1902. Et pleurent les oiseaux de février :
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai !
« Ces vers de Nelligan, je les ai en tête instantanément, dès que débute la chute. La magie de la neige, c’est de tomber sans faire de bruit. De chuter en disant chut ! Avec tant d’élégance et de féerie.
« On dit des gouttes de pluie, mais des cristaux de neige. La pluie n’est que de l’eau, la neige est une pierre précieuse. Le plus brillant et le plus doux des métaux.
« Elle blanchit le gris de la vie. Soudain, Montréal n’est plus sale. Il est blanc comme un réflecteur. Il s’éclaire. On regarde dehors, le paysage a changé. Ce n’est plus une photo mal cadrée, c’est beaucoup mieux, c’est un tableau de Lemieux.
Il neige
Tu neiges
Je neige
Nous neigeons
Vous neigez
Ils neigent
« Ne cherchez pas l’auteur de ces vers blancs, c’est moi, on est tous poètes quand il fait ce temps.
« On est tous poètes, mais ça ne dure pas longtemps. Ce n’est pas long qu’on se met à sacrer après cette même neige qui nous faisait rêver quand on était en dedans. Quand on sort, on passe du rêve à la réalité.
« Le problème avec la neige, c’est qu’elle tombe partout. N’importe où. Pas juste où l’on voudrait bien. Pas juste dans les parcs, pas juste sur le terrain. Mais dans les rues, dans l’escalier, sur le char. Là où il faut la ramasser. La neige est de la visite folle avec laquelle on éprouve beaucoup de plaisir, mais de la visite qui colle, qui ne veut plus partir.
« Après une journée on en aurait assez, mais elle s’est incrustée. Elle ne veut plus s’en aller. Alors il faut l’enlever. C’est forçant. Comment quelque chose qui était si léger dans le ciel peut être rendu si lourd sur terre ? Surtout dans l’escalier.
« Et puis, ça se salit rapidement, du blanc. Le beau tableau de Jean Paul Lemieux devient un graffiti noirci. Soudain, Montréal est très sale. Et notre voiture est ensevelie.
« Les vers qui nous viennent à l’esprit, ce n’est plus : « Ah ! comme la neige a neigé ! » C’est : « Ah ! comme la souffleuse a soufflé ! », « Ah ! comme la charrue a charrié ! »
« C’est fou combien une chose qui nous enchantait quand on la voyait tomber nous déplaît autant quand il faut la ramasser. Imaginez si la nature avait appris à la neige à se relever. Elle tombe du ciel, puis le lendemain elle y retourne. Vous savez, comme dans ces boules en verre, il suffit de les brasser pour que toute la neige au sol se remette à neiger.
« Je vous le concède, notre rapport à la neige est un peu compliqué. On en veut, mais en même temps, on n’en veut pas. En ville, on s’en passerait, pour autant que sur les pistes de ski il y en ait plein. En ville, on s’en passerait, pour autant qu’on ait un Noël blanc.
« Il semble bien que cette année, on l’aura. Mais on a eu aussi un novembre blanc, un début décembre blanc, on a un mi-décembre blanc. Tout ça, c’est moins évident. Ce n’est pas vraiment nécessaire. Parce que…
«Neiger, c’est gratuit.
« Déneiger, ça nous coûte des millions.
« Bien sûr, on pourrait attendre que ça fonde. La neige, au lieu de nos fonds. On ne touche à rien. On laisse la job à la chaleur. Mais la chaleur prend de longues vacances dans l’hémisphère Sud. On en aurait pour des semaines sans auto. Ça prendrait des BIXI d’hiver, des BIXSKIS.
« Au fond, il en va de la neige comme il en va de nos étoiles, de nos stars, de nos personnalités. On trouve ça beau dans les airs et puis, un coup tombées, on s’empresse de les enlever. De les évacuer. Il n’y a pas de résolution à cette chronique. La neige et nous, c’est ainsi et ça va rester ainsi. Une relation amour-haine. Je devrais plutôt dire une relation amour-haine-amour.
« Car le désagrément des voies obstruées et des déplacements compliqués ne vient jamais entacher l’émerveillement ressenti devant une belle poudrerie.
«Bon, c’est assez, allez pelleter.»
Chronique intitulée
La neige et nous
Stéphane Laporte
La Presse
14 décembre 2025

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