Coup de projecteur sur un mot de vocabulaire, intrigant ou étonnant, navigant dans l’air du temps
Carte d’identité
Définition : sous-dimensionnement d’un bien de consommation courante par son fabricant, sans diminution du prix de vente (OQLF).
Formation : mot-valise formé à partir de « réduction » et « inflation », sur le modèle anglais de shrinkflation.
Attestation : l’anglais shrinkflation apparaît vers 2009, mais l’équivalent français réduflation émerge à partir de 2021.
Moins pour le même prix
« En ces temps de magasinage intensif des Fêtes, sur fond d’inflation galopante, fabricants et commerçants mettent en œuvre toutes sortes de stratégies pour conserver ou augmenter leurs marges, sans forcément augmenter les prix de vente. Celle de la réduflation est l’un des exemples les plus courants, assez simple à instaurer. « Au lieu de monter les prix, on diminue les quantités vendues tout en conservant ces derniers… et on espère que les consommateurs ne s’en rendent pas compte », explique Anne Rouleau, réviseure à La Presse. Certains dictionnaires, comme le Larousse en ligne, proposent la forme « inflation cachée ». Mais Mme Rouleau préfère réduflation, qui circonscrit mieux le concept. « Inflation cachée est plus générique et moins explicite », souligne-t-elle, notamment parce que l’expression peut englober d’autres stratégies commerciales connexes (voir la partie suivante).
Un arsenal de stratégies commerciales
« La réduflation est un peu l’arbre qui cache la forêt, surtout quand on tente de vous passer un sapin. Il existe une myriade de stratégies de vente basées sur le même genre de principe. Il en va ainsi de la déqualiflation : « Au lieu de diminuer la quantité d’un produit, on en diminue la qualité, ce qui en fait un concept apparenté », explique notre réviseure. On parle ici de la qualité des ingrédients ou des matériaux. La définition de l’Office québécois de la langue française (OQLF) précise que ce phénomène peut également concerner les services. « Sur [ce] plan, la déqualiflation s’observe par la réduction des services offerts ou encore un allongement des délais occasionné par un manque de personnel, par exemple », indique l’organisme. On trouve également la duraflation (shelflation), une compromission de la durée de vie de denrées alimentaires, périssables plus rapidement, ainsi que l’enflation (stretchflation), une légère augmentation de la quantité d’un produit, accompagnée d’une hausse de son prix de façon importante.
Un concept médiatisé
« Même si le concept n’est pas nouveau, son apparition en français reste relativement récente,
« poussée par la fièvre inflationniste des années post-COVID. Aujourd’hui, il est bien implanté dans le paysage économique et médiatique québécois. Pour preuve, l’économiste et chroniqueur invité de La Presse Sylvain Charlebois a contribué à cette diffusion, en consacrant de nombreux textes explicatifs à ce concept et d’autres du même acabit, comme la duraflation. Il a par exemple épinglé les fabricants de chocolats et d’autres barres industrielles en flagrant délit de réduflation à la veille de Pâques, l’an passé, alors que le prix du cacao montait en flèche.
Le Québec ne brade pas le français
« La réviseure Anne Rouleau note une nette disparité de l’utilisation de ce concept entre le Québec et l’Europe. Bien qu’il soit utilisé dans le même sens de part et d’autre de l’Atlantique, la Belle Province a généralement réussi à s’affranchir de la précision par l’ajout du mot anglais. Pour être plus clair, « au Québec, 96 % des occurrences du mot réduflation apparaissaient seulement en français, sans ajouter le mot anglais. Les auteurs des textes supposent donc que les lecteurs vont comprendre le mot sans qu’on soit obligé de leur donner l’équivalent anglais », rapporte la réviseure de La Presse, qui a effectué la même recherche dans les textes publiés en Europe, d’où elle a tiré une conclusion inverse : dans 95 % des cas, le mot français était accompagné du terme anglais. Ce qui témoigne d’une intégration rapide et réussie de réduflation dans la langue au Québec. »
Chronique intitulée
Le fin mot - Réduflation
Sylvain Sarrazin
La Presse
le 21 décembre 2025

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