09 juin 2025

Étendre son pouvoir autoritaire sur le pays


« Quand le président des États-Unis envoie des soldats dans une ville contre l’avis de la mairesse et du gouverneur, ce n’est pas pour la sécurité publique.


« C’est pour le spectacle. Pour provoquer. Pour étendre son pouvoir autoritaire sur le pays.


« Les manifestations, maintenant devenues des émeutes, ont commencé après qu’on eut rapporté des détentions arbitraires des autorités de l’Immigration (ICE). Des dizaines de personnes, venues se rapporter aux autorités, ont été emprisonnées dans le sous-sol d’un immeuble fédéral qui n’est pas du tout organisé pour cela. D’autres n’ont pu communiquer avec leur famille. Une sorte de panique règne dans plusieurs villes américaines, en particulier en Californie, où le plus grand groupe de migrants en situation irrégulière se trouve.


« En toile de fond : l’incapacité des autorités d’effectuer les « expulsions massives » par millions promises par Donald Trump. Aux dernières nouvelles, l’administration Trump avait expulsé 100 000 personnes début juin, soit moins ou à peu près autant que l’administration Biden à pareille date en 2024.


[...]


« Il faut voir la gravité politique de cette escalade militaire. Assimiler un début d’émeute à une rébellion, voire une insurrection, est une stratégie classique des régimes autoritaires.


« Envoyer des troupes contre l’avis des autorités locales ne sert qu’à une chose : augmenter les risques de violence. Comme par hasard, les choses se sont dégradées dimanche.


« Je ne suis pas en train de dire qu’il faut laisser faire ; je dis que la police de L.A., qui en a vu d’autres, n’avait pas perdu le contrôle de la situation. Des banlieues ont fait face à plus de difficultés, mais personne n’a réclamé de troupes pour le moment.


« Le plan de match du président n’est pas très mystérieux. Toute résistance aux opérations d’expulsion sera traitée comme un acte de rébellion. Décréter une forme d’état d’urgence, envoyer des militaires permet d’aggraver la situation et de mettre en scène une grave rébellion. 


« Ce décret n’est que le dernier dans une série de déclarations d’urgence tout à fait extraordinaires. Donald Trump a déclaré l’état d’urgence économique sans aucune preuve crédible. Il a simplement affirmé que le déficit commercial américain créait cet état d’urgence. Ce faisant, il pouvait utiliser une loi d’exception de 1977, lui permettant de fixer des droits de douane fantaisistes pour répondre à une « crise » imaginaire.


« En vérité, il n’y avait aucune crise économique aux États-Unis ni aucun fait nouveau justifiant une telle déclaration. Mais en attendant que les tribunaux tranchent définitivement la question, Donald Trump joue avec les droits de douane de manière complètement chaotique et déchaînée, alors que c’est une matière relevant normalement du Congrès.


« Il a aussi déclaré un état de guerre avec le Venezuela, en utilisant une loi de 1798 sur les « ennemis étrangers » pour expulser des immigrants sans statut. Cela permet en principe de court-circuiter le test des tribunaux. Mais il n’y a pas de guerre avec le Venezuela.


« Autrement dit, dans tous ces cas, le président se contente de déclarer une urgence ou une crise pour se servir de pouvoirs d’exception censés être utilisés avec parcimonie dans les cas les plus extrêmes.


« Le Congrès républicain a encore peur de le contredire. Et quand les tribunaux disent qu’il n’y a pas de conditions pour déclarer une crise, il pourfend les juges sur la place publique.


« Trump a aussi déclaré un état d’urgence en matière d’énergie pour autoriser des forages. Un état d’urgence aux deux frontières à cause des migrants et du trafic de stupéfiants. Bref, les États-Unis, à en croire Donald Trump, sont en crise générale et en urgence nationale sur tous les sujets.


« C’est ainsi qu’un chef autoritaire concentre entre ses mains les pouvoirs de l’État.


« Il y a 103 ans, un homme avait pris le pouvoir en promettant de redonner au pays sa grandeur passée. Il a prétexté un état d’urgence économique et politique pour accaparer les pouvoirs du Parlement, et gouverner par décrets.


« C’était il y a 103 ans, en Italie, et il s’appelait Benito Mussolini, l’inventeur du « fascisme ».


« J’en entends grincer des dents à la vue du mot fascisme. On n’est pas dans l’Italie de 1922 et Donald Trump n’a pas eu à marcher sur Washington avec une armée de « chemises noires ». Il a été dûment élu.


« Mais ce président gouverne en s’appropriant tous les pouvoirs, avec des techniques similaires : désigner des ennemis du peuple, déclarer l’urgence pour redresser la nation et rétablir l’ordre, écraser les contre-pouvoirs, intimider les médias, les avocats, les universités…»


Extraits de l’article intitulé

Un pas de plus vers l’autoritarisme

Yves Boisvert

La Presse

le 9 juin 2025

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