02 septembre 2025

Les 200 jours d'un dictateur


« Les images, l’armée dans les rues, les nouvelles, l’avalanche de décrets, la hache dans les agences, la haine de la science, les statisticiens renvoyés, les interpellations d’opposants, les déclarations aussi hargneuses qu’officielles : tout converge. Les États-Unis basculent et la démocratie est dans la balance.


« Une image d’abord, celle de la façade du bâtiment du département du Travail à Washington. Côté gauche, on y a pendu un gigantesque portrait du président, avec le slogan « Les travailleurs américains d’abord ». Côté droit, un drapeau des États-Unis à la verticale.


« Mais sur cette photo de l’Associated Press, il y a aussi, face au bâtiment, tournant le dos au photographe, un détachement armé de ceux qui désormais patrouillent dans les rues de la capitale. Ces troupes pourraient bientôt être envoyées dans d’autres grandes villes à majorité démocrate, bastions « ennemis » du régime actuel — car on doit maintenant, chose incroyable, utiliser ce vocabulaire : le « régime Trump ».


« Cette imagerie, on l’associe normalement à des régimes totalitaires. 


[...]


«  À l’international, il se présente comme un « président de la paix » dans un monde inquiété par les guerres et le néo-impérialisme (Chine, Russie). En espérant sa consécration par le prix Nobel, il méprise et écrase le multilatéralisme, le droit international, le commerce régulé.


« Il privilégie les relations bilatérales, de préférence avec des dictateurs. Xi Jinping, son « cher » Vladimir, mais aussi des autocrates mineurs comme le « fantastique » Viktor Orbán de Hongrie, « homme fort et respecté » : son inspiration. Et puis Kim Jong-un, dont il fait l’éloge — répété jusqu’à l’obscène — devant un président sud-coréen médusé, le 25 août à la Maison-Blanche. De la part des autres, il attend — et reçoit — remerciements et flatteries.


« La plupart jouent le jeu… en espérant quoi ? 


[...]


« Et à l’interne…

« Le président annonce chaque jour des politiques, des décrets qui violent la loi, la Constitution, subvertissent normes et pratiques démocratiques. « Illibéral » à la Orbán ? En effet, il a affaibli le département de la Justice, le FBI, les tribunaux, a ordonné des poursuites judiciaires contre ses adversaires, placé des idéologues au renseignement, utilisé la Cour suprême comme un instrument, instauré une techno-ploutocratie avec participation directe de l’État (NVidia, AMD), forçant même Intel à céder 10 % de ses actions au gouvernement.


« Mais l’élève Trump a dépassé le maître Orban.

« Il a fait arrêter des juges en désaccord avec lui. Intimidé et humilié des chefs d’entreprise (Zuckerberg, Cook). Contraint Paramount à retirer une émission satirique — le Late Show sur CBS, parce que le roi ne supporte pas les piques de Stephen Colbert.


« Il a envoyé le FBI perquisitionner chez John Bolton, son ex-conseiller à la sécurité nationale, coupable d’avoir déclaré à CNN que le véritable vainqueur du sommet d’Anchorage était Poutine, parce que Trump s’y était montré impréparé, naïf et incompétent.


« Ces derniers jours, il a ouvertement menacé, sur Truth Social, d’interdire les chaînes ABC et NBC, « parce qu’elles diffusent 97 % de nouvelles négatives sur moi ».


« Trump franchit toutes les lignes rouges. Démocratie illibérale ? Sur le contrôle politique de la Fed, on est dans la république de bananes. Sur la politisation de la justice, le harcèlement — voire l’interdiction — des médias, le congédiement d’une statisticienne honnête, on est dans le soviétisme. Sur Intel et NVidia, c’est du socialisme d’État. Sur le gerrymandering désormais officiel et revendiqué… les mots manquent.


« Trump se délecte des protestations contre les abus militaires. Voir, sur fond de manifestations, « ses » soldats défiler dans des villes démocrates est, pour lui, comme assister à un combat d’arts martiaux, dont il raffole comme un enfant.


« Ce déploiement partiel de l’armée est-il la répétition générale d’une future imposition de la loi martiale ? À l’approche des élections de mi-mandat, en novembre 2026, ce scénario de cauchemar n’est plus de la science-fiction : un scrutin suspendu ou annulé. Surtout si l’appui aux républicains plongeait devant la folie de ce régime.


« Chacune de ces actions, prise isolément, est inquiétante. Ensemble, elles forment un schéma : la construction d’une dictature présidentielle.


« Un autocrate élu de justesse (49 à 48 % en novembre 2024) utilise aujourd’hui la légitimité des urnes pour démanteler le système qui l’a porté au pouvoir. Il joue les durs, les caudillos sud-américains, convaincu que les institutions n’existent que pour son profit personnel.


« Une dictature présidentielle aux États-Unis : impossible, impensable, délirant ? Une sérieuse possibilité, après seulement 200 jours de Trump — même pas 15 % de son mandat. »


Extraits de la chronique intitulée

Dictature présidentielle

François Brousseau

Le Devoir

le 2 septembre 2025

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