« Je suis toujours la plus pauvre dans la salle. » Servant une clientèle d’affaires bien nantie, je lance souvent cette boutade. Puisque j’évolue dans un domaine où l’argent circule abondamment et où les bilans financiers impressionnent, j’ai beaucoup réfléchi, dès le début de ma carrière, à ce que signifie réellement être riche.
« J’ai aussi compris assez rapidement que la perception que j’avais de mon enfance était erronée, financièrement parlant. Jusqu’au début de ma vie adulte, je n’avais jamais vraiment eu conscience du fait que mes origines étaient aussi modestes — financièrement, vous comprenez. Enfant, je croyais même que ma famille était assez fortunée. La vie allait m’apprendre le contraire plus tard.
Richesse et pauvreté
«Je sais que les mots « pauvre » et « riche » peuvent choquer. Mais suivez-moi. Avec le recul, je me rends compte que je ne distinguais pas l’écart entre la richesse de ma vie personnelle et notre position, somme toute modeste, dans l’échelle des classes sociales et des taux d’imposition. Cela s’explique simplement : je n’ai jamais manqué ni d’amour ni de pain sur la table.
« Ayant grandi en milieu rural dans les années 1980 et 1990, je n’ai pas, du moins en apparence, été happée par la comparaison ou la course au matérialisme. Ce n’est que plus tard, une fois devenue jeune adulte, que j’ai été frappée par les écarts de richesse, à force de côtoyer des jeunes aux différentes racines familiales et sociales. C’est donc une fois fortement endettée après mes études, alors que je gagnais des revenus modestes, que j’ai appris — disons-le franchement — à la dure que certains démarrent dans la vie avec plus ou moins de défis que d’autres.
« À force de côtoyer des fortunes, d’analyser la rentabilité de titres boursiers et d’optimiser des patrimoines familiaux, j’aurais pu en venir à la conclusion que tout cela était injuste. Parce que, même encore aujourd’hui, malgré des revenus plus qu’intéressants, je demeure la plus pauvre dans la salle ! Seulement, la composition de la salle a changé : elle est maintenant remplie de gens ayant des valeurs nettes élevées souvent très impressionnantes.
Rendre plus neutre sa relation à l’argent
« Ce constat aurait pu me décourager. Il n’en est rien. Probablement parce qu’avec le temps, ma relation à l’argent est devenue plus neutre que la normale. Au jeu de la comparaison financière, nous sommes toujours plus riches ou plus pauvres que quelqu’un d’autre.
« Et j’ai surtout compris, au fil des années, que les personnes très fortunées ont aussi leur lot d’inquiétudes, de conflits familiaux et de tracas administratifs. Peu importe le montant des actifs détenus, tout le monde vit des passions et des émotions bien humaines. Tout comme je ne définis pas la valeur d’une personne par sa valeur nette, je n’envie pas ce que les autres possèdent et je ne juge pas non plus ceux qui souhaitent gagner davantage d’argent.
« Si j’ai un souhait pour vous en cette période d’abondance, c’est donc celui-ci : que vous réussissiez à alléger la charge émotive associée à l’argent. Je ne nie pas que la pauvreté est une réalité bien tangible ou que l’écart entre riches et pauvres semble se creuser. Pour la majorité des gens, toutefois, une grande part de l’anxiété financière provient de la pression immense que l’on se met pour accumuler de l’argent et maintenir un certain niveau de vie dont la société de consommation fait la promotion.
« Assurer une base de sécurité financière demeure essentiel. Mais bien des dépenses et des objectifs sont guidés par des biais cognitifs, l’ego et notre relation émotive à l’argent. Nous questionner sur qui nous sommes réellement et sur ce qui nous motive est souvent une première étape vers une forme de libération. En 2026, rappelons-nous que l’argent est un moyen pour mener une vie qui nous ressemble — jamais une fin en soi.
Reconnaître l’abondance plutôt que la désirer
« À l’approche des Fêtes, je suis, comme tout le monde, sujette à me laisser prendre au jeu. Novembre et décembre sont des mois de consommation effrénée lors desquels nos pensées se tournent naturellement vers ce que nous aimerions avoir ou voulons offrir à nos êtres chers. Les listes d’idées-cadeaux s’allongent, les besoins se créent, et on s’inquiète, comme parent ou comme grand-parent, de savoir si les enfants recevront le cadeau « parfait », alors qu’ils en ont déjà souvent beaucoup.
« Cette année, j’ai eu envie de diriger mes pensées ailleurs. Que ferai-je pour prendre soin de moi, de ma famille et de mes amis pendant le congé des Fêtes ? Quels souvenirs mes enfants en conserveront-ils lorsqu’ils y repenseront une fois adultes ? Je souhaite préserver, peu importe l’évolution de mon bilan financier, la capacité de faire un bilan humain de mon passage sur Terre. Comme vous, j’aime l’argent, le confort et la possibilité de réaliser mes rêves. Mais, peut-être par nostalgie, je tiens à bâtir une vie — et un temps des Fêtes — où l’abondance ne se mesure pas en excès ni en accumulation matérielle.
« C’est aussi pour cela que je trouve fascinant de réfléchir à ce que signifie être riche
« Plus jeune, être riche voulait simplement dire aller à l’épicerie et acheter ce dont j’avais envie sans regarder les circulaires. Aujourd’hui, cela signifie avoir la liberté de déterminer mon emploi du temps. Qu’en est-il pour vous ? Même à patrimoine égal, être riche n’a pas la même signification pour quelqu’un qui dépense 5000 $ par mois que pour quelqu’un qui en dépense 20 000. Plus on se crée des besoins, plus il faut d’argent pour se sentir riche.
« Lorsque je lèverai mon verre de bulles à la santé de ceux que j’aime pendant les Fêtes, je le ferai avec gratitude. Sans penser à ce que je pourrais avoir de plus, sans rien tenir pour acquis. Je vous souhaite, à votre tour, de reconnaître l’abondance qui vous entoure déjà. Vous êtes probablement plus riche que vous ne le croyez.»
Chronique intitulée
Plus ne sera jamais assez
Sandy Lachapelle
planificatrice financière
Le Devoir
le 20 décembre 2025

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire