« Le ton ne peut pas être plus belliqueux. En lançant ses frappes contre des sites militaires et nucléaires iraniens la semaine dernière, le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, a clairement annoncé à sa population son intention d’aller plus loin, en « libérant » dans la foulée l’Iran et sa population du régime des mollahs. Depuis 1979, leur théocratie impose un climat hautement liberticide à sa population, ciblant particulièrement les femmes. Elle exprime aussi une haine obsessionnelle envers Israël.
« L’objectif de Tel-Aviv est sans ambages. Et la participation, toujours incertaine, des États-Unis dans cette opération militaire à haut risque pourrait accélérer la chute des gardiens de la révolution islamique. Mais pour conduire l’Iran où ?
« C’est que depuis 80 ans, les changements de régime, imposés par une force militaire extérieure, ont rarement conduit à une démocratisation immédiate du pays visé ou à la mise en place d’un État de droit respectueux des différences, de la justice ou des libertés civiques.
« Les opérations de changement de régime téléguidées de l’étranger sont généralement vues par les opposants à ces régimes « comme une solution rapide et facile », « avec un minimum d’efforts et de moyens » pour forcer une transformation radicale d’un cadre politique et social. Mais elles produisent surtout « des effets secondaires néfastes », estime le Cato Institue, un groupe de réflexion américain sur les libertés et la gouvernance.
« Un changement de régime imposé par l’étranger accroît significativement le risque de guerre civile et de renversement violent des dirigeants du pays visé, résume en entrevue le politicologue américain Alexander Downes, qui a placé ce sujet au cœur de ses recherches à l’Université George Washington. Il risque aussi d’augmenter la probabilité d’un nouveau conflit militarisé avec les États impliqués dans ce renversement. » Et l’Iran pourrait ne pas échapper à cette loi.
« La plus grande erreur aujourd’hui, c’est de chercher par la voie militaire à faire un changement de régime en Iran » qui conduirait automatiquement au « chaos », a assuré mardi le président français, Emmanuel Macron, depuis le sommet du G7. La France refuse de soutenir l’action de déstabilisation régionale en cours, estimant que « personne ne sait dire ce qui vient après ».
« La littérature scientifique, elle, peut le faire, en partie. Dans une récente étude sur une trentaine de changements de régime induits dans les dernières décennies par des opérations américaines, on constate qu’à peine quatre de ces entreprises ont permis l’instauration d’une démocratie durable, indiquent les travaux de M. Downes et de son collègue Jonathan Monten. L’Allemagne, le Japon et la France, dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, composent cette liste, avec le Panama, sorti de sa dictature militaire en 1990. Ces réussites, selon eux, tiennent dans le fait que la plupart de ces pays, à l’exception du Panama, avaient déjà eu un passé démocratique ou disposaient d’une économie moderne ainsi que d’une bureaucratie et d’institutions solides.
Un mimétisme libyen
« Si les bombardements menés par Israël conduisent à un changement de régime en Iran et si les États-Unis y participent, aucun des deux n’occupera l’Iran. Ils n’auront aussi de contrôle ni sur la suite des événements ni sur l’identité du futur dirigeant, dit Alexander Downes. La situation ressemble donc beaucoup à celle de la campagne menée en Libye, en 2011, où l’intervention de l’OTAN s’était limitée à des frappes aériennes, laissant ainsi aux parties sur le terrain le soin de configurer la Libye post-Kadhafi. Or, faute d’une expérience préalable de la démocratie et en raison de la présence de nombreuses factions rivales, le pays a sombré dans la guerre civile et est encore aujourd’hui divisé entre deux parties antagonistes. »
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« Jeudi, le régime des mollahs en Iran, loin de montrer des signes de faiblesse, a plutôt continué à tenir tête à Israël et aux États-Unis, en poursuivant les tirs de missiles en direction de l’État hébreu et en continuant de défier le président américain.
« [L’Iran] ne se rendra jamais sous la pression de qui que ce soit, a assuré l’ayatollah Khamenei mercredi soir dans un discours télévisé. Les Américains doivent savoir que toute intervention militaire de leur part entraînera assurément des dégâts irréparables. »
« Selon le Wall Street Journal, Donald Trump aurait affirmé à de proches conseillers mardi avoir approuvé un plan d’attaque de l’Iran, mais retiendrait sa mise en application le temps de voir si Téhéran accepte ou non de mettre fin à son programme nucléaire, a rapporté le quotidien. Mercredi, le républicain a continué à entretenir le doute sur une entrée en scène possible de l’arsenal américain dans ce conflit, pour aider Tel-Aviv à détruire les complexes souterrains d’enrichissement de l’uranium de la République islamique. « Je le ferai peut-être, a-t-il déclaré aux journalistes. Je ne le ferai peut-être pas. Personne ne sait ce que je vais faire. » Jeudi, la Maison-Blanche a botté en touche, renvoyant cette prise de décision « dans les deux prochaines semaines », pour gagner un peu de temps.
Grande incertitude
« La décapitation de la tête dirigeante de l’Iran, si elle devait se produire, placerait assurément le pays dans l’incertitude. « Il est impossible de prédire si un changement de régime mènerait à la démocratisation, à la dictature, au conflit ou à la paix », dit M. Downes. Une résistance des institutions pourrait maintenir le régime en place, après la désignation d’un successeur ou d’une direction collégiale par l’Assemblée des experts ou par le guide suprême lui-même, avant de mourir.
« Autre scénario : le choc de la disparition d’Ali Khamenei, indispensable à la survie du régime, pourrait effectivement contribuer à la chute des mollahs. Mais sans ce guide suprême qui tient en équilibre les nombreuses factions du pays autour de sa figure autoritaire, quelle configuration suivra dans cette société hétérogène ?
« Sans réponse à cette question, le philosophe iranien Anoush Ganjipour aimerait malgré tout assister à l’élimination des « gardiens de la révolution » qui « massacrent sans scrupule des milliers d’Iraniens » depuis plus de 46 ans. Mais pas dans le cadre d’une intervention militaire venant de l’extérieur, écrivait-il mercredi dans les pages du quotidien français Le Monde. « Pour l’Iranien que je suis, rien ne justifie l’atteinte à l’intégrité territoriale de mon pays. En ce qui concerne la politique intérieure, la République islamique devrait être renversée par le peuple iranien. » Point.
Extraits de l’article intitulé
L’espoir très mince de libérer l’Iran des mollahs
Fabien Deglise
analyste
Le Devoir
20 juin 2025
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