Lettre publiée sous ce titre
de Gisèle Larouche
mère et grand-mère
publiée dans la section Opinions
Le Devoir
le 31 juillet 2025
«Ce matin, je cueillais des framboises dans un grand champ vert peuplé de chants d’oiseaux. J’étais dans l’abondance, la manne, comme disait ma mère. J’ai pensé à la chanson de Georges Moustaki : « Il y avait un jardin qu’on appelait la terre. » Oui, il y avait un jardin… Les mains pleines de fruits juteux, sucrés, j’ai revu ces enfants, hier, qui mourraient sur mon grand écran en couleurs. J’étais assise sur un fauteuil de cuir dans mon confortable salon et, de là, depuis des semaines, des années, je regarde mourir les autres. Je ne me sens pas bien. J’ai mal à mon humanité…
« On aurait dû être heureux, il y en avait assez pour nous tous.
« L’homme a évolué, oui, et il est devenu assez puissant pour n’avoir qu’à peser sur un bouton dans un grand bureau climatisé pour lancer des engins de mort qui détruisent un village entier en quelques minutes. Même plus besoin de faire face à celui qu’on veut faire disparaître, un drone fait le travail.
« Les enfants auraient dû lever la tête vers le ciel pour y voir passer les petits nuages blancs, pas la mort.
« La cupidité, cette soif du toujours plus pour soi, qu’elle soit individuelle ou collective, a engendré la destruction de notre planète, les génocides, la violence, la consommation effrénée. On n’a pas su s’élever au-dessus des besoins de base, se loger, se nourrir, se vêtir, se déplacer, se reproduire, ce que faisaient les premiers humains. On y a seulement mis plus de luxe, on a concurrencé pour accumuler. Les gens les plus riches exploitants les plus faibles, les pays les plus puissants pillant, envahissant les plus fragiles. Mais ce n’est pas assez de ravager la terre, il faut maintenant fouiller le fond des océans, gagner la course pour le contrôle de l’espace. L’humain est resté à l’horizontale, il n’a pas réussi à s’élever, à se lever à la verticale. Il n’a même pas encore trouvé le moyen d’arrêter un chef fou qui massacre tout ce qui est sur son chemin. Créés à l’image de Dieu, disait-on, trouverons-nous un jour la voie de la paix, de la justice ?
« Rentrée à la maison, j’ai pris une douche, une eau tiède ruisselait sur tout mon corps avec une mousse au parfum de rose. Là, j’ai pensé à cette femme qui n’a pas un verre d’eau à donner à son gars qui s’en va dans la mêlée mortelle pour tenter d’avoir un peu de farine pour les siens. À quand la douche pour elle ?
« Creusons de nouveaux pipelines pour être sûrs de ne pas perdre un peu de notre abondance…
« Il y avait un jardin qu’on appelait la Terre »…
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