Un héros ? Un sauveur ? Le plus grand des amis ?
« Je ne sais trop quelle expression utiliser pour décrire la façon dont Donald Trump a été accueilli au Royaume-Uni cette semaine tant l’extravagance de ce qui s’est produit était remarquable.
« Il a d’abord été reçu au château de Windsor « avec une pompe royale spectaculaire » par Charles III et sa famille. Puis, le premier ministre Keir Starmer l’a invité à sa majestueuse résidence de campagne, Chequers.
« Certains ont par ailleurs rappelé que Donald Trump est le seul président américain de l’histoire à avoir eu droit à deux visites d’État au Royaume-Uni (sa première datant de juin 2019, lorsqu’Élisabeth était encore monarque).
« Le président républicain était visiblement aux anges, s’il faut se fier à ses remarques, jeudi, lors de sa conférence de presse aux côtés de Keir Starmer. Il a notamment évoqué une « hospitalité merveilleuse » et un « honneur spectaculaire ».
« Les diplomates et les médias britanniques ont reconnu que l’objectif était de « flatter le président américain », a rapporté le quotidien Le Monde.
Normal. C’est le moyen le plus sûr de l’amadouer.
« Ces jours-ci, plus que jamais auparavant, à peu près tout le monde rivalise d’ingéniosité pour trouver la meilleure façon de le caresser dans le sens du poil.
« De lui donner l’impression qu’il est le meilleur, tout simplement.
« Et même parfois de lui faire croire que personne ne lui arrive à la cheville, carrément.
« On a pu assister à un autre exercice de flatterie hors du commun deux semaines plus tôt, à la Maison-Blanche.
« Le président américain avait convié à peu près toutes les grandes pointures de la tech aux États-Unis, dont Mark Zuckerberg et Bill Gates (un absent : Elon Musk, qui a dit avoir été invité, mais ne pas avoir pu y être).
« L’évènement s’est transformé en concert de louanges.
« Un par un, les invités, comme s’ils faisaient partie de la cour d’un roi, ont fait l’éloge de Donald Trump.
«Merci d’être un président aussi favorable aux entreprises et à l’innovation. C’est un changement très rafraîchissant. Je pense que ça va nous permettre de mener le monde pendant longtemps, et ça ne serait pas possible sans votre leadership », a lancé le PDG d’OpenAI, Sam Altman, roi de l’intelligence artificielle aux États-Unis.
« Ces effusions de tendresse et d’admiration n’étaient pas non plus inusitées.
« Une semaine plus tôt, lors d’une rencontre du cabinet du président, certains des participants avaient atteint des sommets d’obséquiosité.
« L’émissaire et homme de confiance de Donald Trump, Steve Witkoff, avait déclaré publiquement qu’il n’y avait jamais eu de meilleur candidat au prix Nobel de la paix que l’actuel président des États-Unis.
« Votre succès change la donne dans le monde d’aujourd’hui, et j’espère que tout le monde se réveillera et s’en rendra compte », a-t-il lancé.
« Martin Luther King, Nelson Mandela ou mère Teresa ? Ils ne font pas le poids !»
« Maîtriser l’art de la flatterie, pour les membres de l’entourage du président, est devenu un prérequis. Même les compliments les plus délirants sont encouragés.
Vous n’en revenez pas ? Moi non plus.
« C’est pourquoi j’ai sollicité l’avis de Daniel Kapust, professeur au département de science politique de l’Université du Wisconsin à Madison et auteur d’un livre intitulé Flatterie et histoire de la pensée politique.
« Derrière des portes closes, les présidents, comme toutes les autres personnes vraiment puissantes, sont probablement toujours flattés. Ce qui est inhabituel [avec Donald Trump], c’est la mise en scène publique et le caractère rituel de cette flatterie », dit-il.
« Il a lui aussi l’impression que Donald Trump souhaite qu’on se comporte de cette façon à son égard.
« Soit il s’y attend, soit il aime que ça se produise et il le laisse faire. Les gens le constatent et se mettent alors à adopter ce comportement. Mais je pense vraiment qu’il s’y attend, car pourquoi, sinon, inviter les caméras ? Et pourquoi leur faire prendre la parole à tour de rôle ? », lance l’expert.
« Cela dit, s’il s’y attend, on ne sait pas nécessairement pourquoi. Ou pourquoi ça lui plaît. Ce pourrait être, encore une fois, une manière de montrer son pouvoir sur ces individus. Ce pourrait aussi être qu’il aime les voir rivaliser entre eux pour le flatter. »
« J’ai aussi discuté avec Daniel Kapust du fait que même les dictateurs les plus dangereux de la planète ont compris que la flatterie semble être l’un des meilleurs moyens de faire roucouler ce politicien qui aime intimider et faire peur.
« Car en août dernier, la Maison-Blanche a été le théâtre d’une autre scène de catégorie « si on avait vu ça dans un film, on aurait dit que ce n’est pas crédible ».
« Lors d’une annonce portant sur la Coupe du monde de soccer 2026 qui sera disputée en Amérique du Nord, Donald Trump a brandi une photo prise lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine en Alaska une semaine plus tôt.
« J’ai pensé que vous aimeriez la voir », a-t-il lancé. Elle lui avait été offerte par le président russe, a-t-il dit. Et il était visiblement ravi de cette attention.
« Il a pris soin d’ajouter que le chef du Kremlin avait été « très respectueux envers [lui] et envers [les États-Unis] ».
« Comment décrypter le bonheur évident de Donald Trump lorsque Vladimir Poutine lui envoie une photo ou vante ses mérites ?
« Cette soif d’éloges ne rend-elle pas le président américain plus susceptible d’être manipulé ?
« Platon, Cicéron, Plutarque, Aristote, Hobbes… Les penseurs qui ont écrit sur la flatterie et l’ont envisagée soit comme un problème éthique, soit comme un problème politique, ou les deux, disent que c’est précisément pour ça que c’est un problème. Une personne qui est vulnérable à la flatterie peut être manipulée pour faire quelque chose qu’elle n’aurait pas fait autrement », souligne Daniel Kapust.
« C’est néfaste soit pour la personne qui agit ainsi, soit pour les gens touchés par cette action en raison du poste qu’occupe cette personne », ajoute-t-il.
« Le philosophe politique italien Machiavel, qui s’inquiétait d’un tel scénario, préconisait certains remèdes. Si vous pensez que quelqu’un ne vous dit que ce que vous souhaitez entendre, il suggérait par exemple de vous mettre en colère.
« L’idée est de « vous assurer qu’ils sachent que vous les récompenserez et les féliciterez s’ils disent la vérité », explique le politologue.
« On imagine toutefois mal Donald Trump mettre en pratique une telle stratégie.
« Quand on le caresse dans le sens du poil, il ne se fâche pas. Il jubile.
« Tout comme doivent jubiler ceux qui, comme Vladimir Poutine, ont compris qu’il s’agit de maîtriser l’art de la flatterie pour transformer en marionnette docile l’homme qui prétend être le champion de l’art du deal.»
Chronique intitulée
J’entends flatter (et je vois Trump roucouler)
Alexandre Sirois
La Presse
le 19 septembre 2025
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