Évènement sur la planète diplomatique. La France et le Canada comptent parmi la demi-douzaine de pays qui se préparent à reconnaître officiellement l’État palestinien, le 22 septembre prochain à l’ONU. Ce club comprend aussi le Royaume-Uni, Malte, l’Australie, le Luxembourg et la Belgique, certains ayant toutefois posé des conditions, comme le retour des derniers otages et l’instauration d’un cessez-le-feu. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Et qu’est-ce que ça va changer ? Réponses du chercheur Romuald Sciora, auteur du livre Qui veut la mort de l’ONU ?
Que va changer une reconnaissance collective de la Palestine ?
« Sur les 193 pays membres de l’ONU, 148 reconnaissent l’État palestinien. C’est considérable. Et pourtant, cela n’a guère aidé les Palestiniens jusqu’ici. Concrètement, cela ne change malheureusement pas grand-chose si la France et d’autres pays s’ajoutent à la liste : c’est une reconnaissance sur le papier. L’occupation israélienne demeure, et tant qu’Israël et les États-Unis ne veulent rien changer à Gaza, rien ne bougera sur le terrain.»
Bref, on est dans le symbolique…
« Oui, ce n’est que symbolique, mais au moins, le discours évolue. Le fait que l’Espagne, l’Irlande et la Norvège aient reconnu la Palestine l’an dernier a créé une dynamique, certes modeste, mais réelle, en sa faveur. Les promesses de soutien et de reconnaissance de la France ont poussé les médias français à regarder autrement le conflit à Gaza. Le mot « génocide » est de plus en plus employé. Ce n’est pas un tournant décisif, mais c’est une dynamique. Cela ne changera rien au quotidien des Palestiniens, mais c’est une avancée morale et juridique au regard du droit international.»
Quand on regarde la carte, on constate que ce sont surtout les pays dits « occidentaux » qui ont rechigné jusqu’ici à reconnaître la Palestine. Pourquoi cette résistance ?
« Pour trois raisons. La première, c’est la culpabilité – justifiée – liée à la Shoah. Certains pays, comme les États-Unis, ont été complices par leur passivité, voire complices de crimes contre l’humanité, à l’égard des Juifs, comme la France. C’est aussi pourquoi un grand pays démocratique comme l’Allemagne soutient Israël inconditionnellement.
« La deuxième raison, c’est le court-termisme politique. La plupart des dirigeants occidentaux redoutent d’être taxés d’antisémitisme, notamment à la veille d’élections, et préfèrent donc rester dans une politique de routine : soutenir Israël.
Enfin, la troisième raison, c’est l’attachement – légitime – au droit d’Israël à exister. Et certains responsables, Donald Trump, par exemple, considèrent qu’un État palestinien menacerait à terme l’existence même d’Israël.»
Le Canada aussi a mis du temps à reconnaître l’État palestinien. Comment l’expliquer ?
«Le Canada a toujours eu tendance à s’aligner sur le grand frère américain en matière de politique internationale. Mais c’est tout à son honneur aujourd’hui de reconnaître la Palestine et de se démarquer de Washington. C’est un signe fort d’indépendance de la part de Mark Carney.»
Avec les horreurs qui se déroulent à Gaza, cette culpabilisation peut-elle se retourner contre Israël ?
« Il y a en effet un danger. De nombreux Israéliens, et des intellectuels juifs, considèrent Nétanyahou comme le fossoyeur d’Israël. Le sentiment de culpabilité lié à la Shoah s’estompe progressivement, et la réponse disproportionnée aux attaques terroristes du 7–Octobre dilapide peu à peu le capital de sympathie et de remords historique dont Israël a joui pendant si longtemps. Aujourd’hui, on voit de plus en plus de pays – dans le Sud global, mais aussi en Occident – prendre leurs distances, voire se détourner d’Israël. Le vrai danger pour l’État hébreu, c’est l’isolement diplomatique. Le jour où les États-Unis pencheront dans l’autre sens, ou n’auront plus les moyens de le soutenir et de le protéger, cela pourrait être, je le crains, dramatique pour les Israéliens.»
Benyamin Nétanyahou a très mal réagi à la suite de l’annonce de la France. Il accuse Emmanuel Macron d’« alimenter l’antisémitisme ». Son gouvernement réplique en accélérant le processus de colonisation en Cisjordanie. Qu’en pensez-vous ?
« Le gouvernement israélien sait très bien que la France ne va pas reculer. Ce n’est donc pas tant une provocation qu’un prétexte pour justifier sa fuite en avant avec la colonisation à tout-va. Israël ne s’est jamais senti aussi puissant et surtout à ce point soutenu par les États-Unis. Cette fuite en avant durera tant que Trump le soutiendra.»
Jean-Christophe Laurence
La Presse
le 19 septembre 2025
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