04 novembre 2025

Élections à New York: une invitation à «rêver le mieux»

« Quand je donne de la nourriture aux pauvres, on me traite de saint. Quand je demande pourquoi les pauvres n’ont pas de nourriture, on me traite de communiste », disait Dom Helder Camara, théologien de la libération. Si donner aux pauvres nous fait gagner notre ciel, il ne faudrait surtout pas se questionner sur la source des inégalités. En d’autres termes, si l’empathie n’est plus à la mode, la solidarité, elle, est méprisée.


«Zohran Mamdani, candidat à la mairie de New York, qui se joue mardi [aujourd’hui, 4 novembre ] serait d’accord : « S’il y a une chose que je changerais sur le monde, ce serait que tous puissent avoir une vie digne », disait-il en campagne. Ses positions incluent le gel des loyers pour les moins nantis, le transport en commun gratuit pour tous, un service de garderie universel et l’ouverture d’épiceries « municipales » avec produits subventionnés. Mais, surtout, il souhaite plus d’équité économique, telle qu’une plus grande imposition des entreprises (la faire passer à 11,5 %) ou augmenter de 2 % l’imposition des New-Yorkais ayant un revenu annuel de plus d’un million de dollars.


« Depuis la fin de la pandémie, l’écart de revenu entre les plus riches et les plus pauvres au Canada ne cesse d’augmenter. Le président-directeur général d’Air Canada gagne environ 460 fois plus que le salaire d’entrée d’une agente de bord. En 2024, son salaire était de 12,4 millions de dollars. Est-ce si utopique que de vouloir réduire cet écart ? Est-ce déraisonnable ?


« La différence de richesses accumulées par les individus au pays (au-delà du revenu) est tout aussi marquée. En 2025, le top 20 % des ménages possède presque 65 % de la valeur nette totale du Canada, alors que le bassin des 40 % plus pauvres ne possède que 3,3 % de la valeur nette. Taxer le revenu n’est donc pas le seul moyen de redistribuer la richesse : on peut augmenter le nombre de paliers d’imposition pour mieux redistribuer le fardeau fiscal, taxer l’héritage après un certain montant, limiter le profit pour les propriétaires, lutter contre les paradis fiscaux.


« Pendant ce temps, le premier ministre Mark Carney a éliminé la hausse de l’impôt sur le gain en capital. Il a supprimé la taxe sur les profits réalisés en Bourse. Il a éliminé la taxe pour ceux qui gagnent de l’argent avec de l’argent. C’est sans compter l’absence de plan pour s’attaquer à l’évasion fiscale dont se rendent coupables beaucoup de compagnies et d’individus plus nantis, ou ceux qui peuvent se payer un bon comptable. Pendant ce temps, la professeure de primaire et le gars de la construction, avec leurs deux enfants, se font encore retrancher une partie proéminente de leurs salaires. Et gare à eux s’ils tentent de frauder le fisc !


« Taxer les plus riches n’est pas si impopulaire qu’on le pense. Nous sommes beaucoup à constater que le système est favorable à une minorité et défavorable pour la majorité. Beaucoup souhaitent plus d’équité. Le Resource Movement, composé de jeunes adultes de familles nanties qui souhaitent plus de redistribution et de justice sociale, a de plus en plus de membres. Même des milliardaires joignent leur voix pour demander plus de redistribution, comme Warren Buffett ou Bill Gates. Certains d’entre eux habitent New York et se sont engagés à voter pour Zohran Mamdani, bien que sa campagne ait davantage été soutenue par des jeunes au revenu moins élevé.


« Malheureusement, parler de justice (économique ou autre) est devenu marginal. Zohran Mamdani, Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et  Québec solidaire sont qualifiés de « militants ». Ce qualificatif est devenu un badge de déshonneur, comme si être « anti-immigrants » n’était pas aussi « militant » qu’être « anti-inégalités économiques ». Comme si être « pro-char » était moins militant qu’être « pro-égalité ». Être militant pour l’égalité est devenu une tare, être solidaire un défaut, être empathique une menace à la civilisation.


Imaginer un autre monde

« Envisager le pire aura toujours l’air plus sérieux que rêver le mieux », écrit Mathieu Bélisle. Ce cynisme serait une preuve de lucidité de la part des intellectuels. Dans Une brève histoire de l’espoir récemment publié chez Lux, il explique que les intellectuels « préfèrent le manque à la plénitude, le déclin à l’essor, la fin au commencement » et que « la pensée critique se nourrit des failles et des apories ».


« Je suis fatiguée de la critique, tant de la part des partis progressistes que des intellectuels. Comme Zohran Mamdani, j’ai envie de créer un imaginaire nouveau pour notre monde en commun. Un imaginaire où les riches sont un peu moins riches, où les gens qui ont un travail n’ont pas besoin d’aller dans les banques alimentaires, où ma fille aura un loyer décent. Un monde où tous ont accès à une vie digne. J’ai envie de vouloir plus, de « rêver le mieux ».


« Peut-être est-il temps de penser à ce pour quoi on se bat, et cesser de passer du temps à critiquer ce contre quoi on se bat. Pour bâtir cet imaginaire, il faudra beaucoup d’espoir. Mathieu Bélisle écrit : « J’ignore ce que l’avenir nous réserve, mais il est parfois bon de se rappeler que le pire n’est pas certain, que notre tâche est d’imaginer la suite plutôt que de craindre la fin. […]. Il faut seulement espérer que de la cendre une autre vie puisse naître, guérie de ses anciennes blessures, tournées vers le meilleur. »


Lettre d’opinion intitulée

Zohran Mamdani invite à «rêver le mieux» pour New York

Maïka Sondarjee

chercheuse et professeure en relations internationales

Le Devoir

le 4 novembre 2025

2 commentaires:

  1. Ouiiiii effectivement ‘ j’espère qu’il sera élu pour faire la différence!
    Liette

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    Réponses
    1. Bonjour Liette, oui, je le souhaite moi aussi, ce sera un grand pas vers le mieux ! Merci de passer par ici.

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