16 novembre 2025

Léa Stréliski affirme: «Je suis plus riche qu’Elon Musk»

Léa Stréliski n'est pas un canard, mais une humoriste qui a trois enfants

« L’autre soir, je mangeais une salade grecque confectionnée par l’homme qui m’aime depuis plus de 18 ans, dans la salle à manger d’une maison qui abrite les trois enfants en santé que j’élève, quand tout à coup, je me suis rendu compte que je suis plus riche qu’Elon Musk. C’est 100 % sûr que je suis plus riche que lui. Pensez-y. Je reçois quotidiennement une dose d’amour inconditionnel de la part de mes trois adolescents qui me font assez confiance pour me révéler des bribes de leurs vies, rire avec moi, me raconter leurs tracas et vouloir regarder la télé en famille. Cet été, on a même voyagé ! Une fois qu’un humain a un toit sur la tête, de l’eau propre, à manger quand ça lui tente, une famille choisie (quelle que soit sa forme), quelques loisirs et un travail qui ne lui purge pas toute son âme ; j’ai beaucoup de mal à imaginer ce qu’il voudrait réellement de plus.


« Bien sûr, il existe en ce bas monde du luxe. L’accès à des produits ou à des expériences façonnés par des artisans talentueux qui n’ont pas de prix tellement leur qualité est fantastique. Tu peux boire les champagnes d’œnologues érudits, t’habiller de vêtements cousus par des maîtres, habiter des lieux dessinés par des génies. Il y a des montres créées par des savants suisses, de la nourriture cuisinée par des chefs qui pensent à des combinaisons d’ingrédients depuis leur naissance et tu peux voyager vers des hôtels exotiques réfléchis avec ton seul plaisir en tête. « Bien sûr.


« Nous vivons dans un univers où l’abondance est non seulement possible, mais où la nature elle-même nous donne l’exemple d’un niveau d’opulence et de créativité complètement déraisonnable. Il suffit d’observer de la nacre ou de constater qu’il existe plus de 30 000 espèces de scarabées, ou tout simplement de penser au fait qu’il y a des fleurs qui se transforment en framboises ! Nous vivons bizarrement dans une poésie.


« Mais encore faut-il avoir le cœur de s’en rendre compte. Ce qui me ramène à cet imbécile d’Elon Musk. L’homme le plus riche du monde, dit-on. Riche, certes, mais pas selon tous les modèles. Juste en argent. Et y a-t-il quelque chose de plus bête que de l’argent ? Comprenez-moi bien, je pourrais crier du matin au soir à l’idée que notre monde est tellement bandé sur l’argent qu’on laisse des enfants mourir de faim alors qu’on a toutes les possibilités de les nourrir. Je pourrais marcher pieds nus jusqu’à Québec pour rappeler en pleine Assemblée nationale que le seul objectif du gouvernement qui dépense nos impôts devrait être de rééquilibrer la société et de s’assurer que personne ne passe toute son énergie à survivre. Tout le monde devrait avoir droit à la vie. Pas juste à la survie.


« C’est plus facile quand tu as eu des parents comme les miens, dont le travail a porté ses fruits. Des gens qui sont partis de rien en immigrant à Montréal et ont réussi à donner accès à la propriété à leurs enfants en leur donnant un peu d’argent. Sans ça, je le sais que je ne mangerais pas ma salade grecque dans ma salle à manger. Sans l’investissement dans les soins d’un bon psy pour assainir mon rapport à l’amour non plus. Je n’aurais pas été en mesure de repérer dans une file d’hommes celui qui a les talents de me faire une famille et de mettre des concombres, des tomates et du feta dans un bol.


« Tout ça, ce sont des fruits que je récolte maintenant, mais grâce aux graines d’un bonheur que j’ai semé il y a belle lurette et avec de l’aide. Ce sont des privilèges, et quand tu n’as pas ces chances, la communauté devrait t’aider pour que tu atteignes la dignité humaine de base ; et puis, dans une société riche comme la nôtre, tu devrais pouvoir être éduqué, logé, soigné physiquement et mentalement, et pouvoir te déplacer sans que ça soit considéré comme un luxe.


«Mais le capitalisme nous a fait perdre la tête et on a oublié ce qu’est la vraie richesse.


« Imaginez être l’homme le plus riche du monde et tout de même te heurter à la réalité de ton malheur. L’angoisse. Pouvoir tout, tout, tout acheter instantanément et savoir qu’absolument rien ne va te donner un sens ou te débarrasser de la souffrance psychologique et émotionnelle de tous les traumatismes relationnels que tu trimballes depuis toujours. Tes parents ne t’ont pas aimé comme tu voulais, tes enfants te détestent, aucun ami ne sait réellement qui tu es et chaque jour est une fuite pour l’oublier.


« Imaginez la solitude d’un homme comme Donald Trump qui est littéralement à la tête du monde, qui sait que ses heures de vieil homme sont comptées et qu’il a passé toute sa vie à échouer. Que rien de tout ce qu’il a conquis n’a changé au sentiment qui l’habite. Cheh !


« C’est pour ça qu’on devrait avoir des mécanismes de redistribution automatique de l’argent. Maintenant qu’on a la preuve avec tous ces tristes énergumènes qu’être multimilliardaire ne sert humainement strictement à rien. Il devrait y avoir un plafond. Un clapet. Une carte que tu reçois à ton premier milliard : « Félicitations, vous avez désormais plus d’argent que vous aurez physiquement le temps de dépenser selon l’espérance de vie humaine. Tout l’argent que vous ferez au-delà de ce milliard sera redistribué pour que d’autres que vous puissent aussi jouer. P.-S. Si vous vous sentez tout de même comme une vieille merde malgré votre milliard de dollars, nous sommes désolés que vous soyez tombé dans le piège de la richesse. Voici un numéro de téléphone à appeler pour vous plaindre et trouver de l’aide. »


« Lol, je suis tellement plus riche qu’Elon Musk.» 


Article d’opinion intitulé

Que faire des milliardaires ?

Léa Stéliski

humoriste, autrice, mère de l’année autoproclamée

Le Devoir

15 novembre 2025 


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