«Le monde entier regarde New York »
« Samedi, à trois jours de l’élection à la mairie de la mégapole américaine, cette phrase a résonné dans un petit parc de Jamaica, le quartier multiethnique de Queens où Zohran Mamdani, candidat démocrate et favori des sondages, a tenu son dernier rassemblement de la journée.
« L’élu new-yorkais qui l’a prononcée n’exagérait pas. Mardi, les électeurs de la capitale du capitalisme mondial pourraient choisir comme maire une émule socialiste de Bernie Sanders, ce grand pourfendeur des millionnaires et des milliardaires. Et ils pourraient décerner à un politicien musulman et propalestinien le titre de premier citoyen de la ville comptant le plus de juifs au monde. Une première qui serait incarnée par un député de l’Assemblée de New York dont le charisme, à 34 ans, est inversement proportionnel à l’expérience.
« Tout cela dans un contexte où Donald Trump, né dans ce même arrondissement de Queens, menace de punir la ville de New York si elle ose élire celui qu’il décrit comme un communiste.
« Le monde entier regarde New York parce qu’il sait que nous avons un président autoritaire à la Maison-Blanche », a poursuivi Jumaane Williams, médiateur de New York, en s’adressant à une foule d’environ 300 personnes, issues pour la plupart de l’immigration sud-asiatique.
« Et ce qui m’enthousiasme, c’est que dans 20 ans, je pourrai dire que par une journée froide de novembre, les Noirs et les Blancs, les musulmans et les juifs, ainsi que la classe ouvrière de cette ville ont déclaré : “Nous allons riposter en votant pour Zohran Mamdani et en écrivant une page d’histoire.” »
« Ça reste encore à voir. Ces derniers jours, certains sondages ont indiqué un resserrement de la course qui oppose Mamdani à l’ancien gouverneur démocrate de New York Andrew Cuomo, qui fait campagne à titre d’indépendant, et au candidat républicain Curtis Sliwa.
Attaques islamophobes
« Un resserrement qui a coïncidé avec un flot d’attaques islamophobes auxquelles Zohran Mamdani a fait référence en s’adressant à son tour à la foule rassemblée dans le parc de Queens.
« Je voudrais simplement demander à toutes les personnes présentes de lever la main si elles ont déjà été traitées de terroristes alors qu’elles vivaient dans cette ville », a-t-il demandé.
« Après avoir évoqué d’autres humiliations semblables, le candidat a ajouté : « C’est pourquoi ces mots m’offensent. Ils nous concernent tous. »
« Andrew Cuomo a prononcé certains de ces mots lors d’une interview accordée à l’animateur de radio conservateur Sid Rosenberg, le 23 octobre dernier.
« Dieu nous préserve d’un autre 11-Septembre », a-t-il déclaré en affirmant que son manque d’expérience rendait son principal rival inapte à la mairie de New York. « Pouvez-vous imaginer Mamdani à ce poste ? »
« Oui, je pourrais », a répondu l’animateur, qui avait traité le candidat démocrate de « terroriste » peu avant. « Il serait ravi [d’un autre 11-Septembre]. »
« Et Andrew Cuomo d’enchaîner, en riant : « C’est un autre problème. »
« Depuis le début de son ascension politique fulgurante, Zohran Mamdani « doit répondre à des accusations d’antisémitisme, en raison notamment de ses critiques à l’égard d’Israël, qu’il a accusé de commettre un génocide dans la bande de Gaza.
« Or, ces derniers jours, il a également été associé au terrorisme, au djihadisme et à l’« extrémisme islamique », pour reprendre les mots du maire actuel, Eric Adams, qui a renoncé à solliciter un second mandat.
« Ces attaques l’ont poussé à adresser aux quelque 900 000 musulmans de New York un message sur l’« islamophobie » que certains ont comparé au célèbre discours de Barack Obama sur la question raciale lors de sa première campagne présidentielle.
« Je ne vivrai plus dans l’ombre »
« Être musulman à New York, c’est s’attendre à subir des humiliations », a déclaré le candidat démocrate lors de ce discours qui a été visionné plus de 25 millions de fois sur l’internet. « Mais ce ne sont pas ces humiliations qui nous distinguent – de nombreux New-Yorkais y sont confrontés. C’est plutôt la tolérance de ces humiliations qui nous distingue. À une époque où le bipartisme ne cesse de s’étioler, l’islamophobie est devenue l’un des rares domaines de consensus. »
« Après avoir évoqué la tentation de dissimuler sa religion pour éviter les humiliations, il a formulé cette promesse : « Je ne vivrai plus dans l’ombre. »
« Comme d’autres musulmans de New York, Zarif Rahat, un développeur de logiciels âgé de 32 ans, ne mentionne pas la religion parmi les raisons qui l’ont incité à appuyer Zohran Mamdani. Il parle d’emblée du programme du candidat, qui prône la gratuité des bus et des garderies, de même que le gel d’environ 1 million de loyers.
« Nous devons rendre la ville abordable », a-t-il dit après les discours dans le parc de Queens. « La ville est actuellement invivable pour les travailleurs à faible revenu, voire pour ceux à revenu moyen. Elle ne devrait pas être réservée aux riches. »
« Mais ce fils d’immigrés du Bangladesh avoue s’identifier à ce que vit Zohran Mamdani en tant que musulman.
« C’est vraiment personnel pour moi, car lorsque Cuomo l’a attaqué de manière islamophobe en le comparant à un terroriste, c’est quelque chose que j’ai moi-même vécu à New York par le passé, a-t-il dit. C’est une expérience universelle pour les musulmans. L’islamophobie est omniprésente en politique. »
« Le message de Zohran Mamdani sur l’« islamophobie » a suscité des réactions beaucoup moins favorables chez les conservateurs.
Né en Ouganda
Son discours « réduira probablement son avance », a écrit dans le Wall Street Journal Karl Rove, ex-stratège républicain, critiquant son ton « empreint de colère, d’amertume [et] de division ».
« Andrew Cuomo a tapé sur le même clou. Il s’est d’abord défendu contre l’accusation d’islamophobie, attribuant à l’humour sa réaction à la déclaration de Sid Rosenberg. Il a ensuite accusé Zohran Mamdani d’être celui qui divise les New-Yorkais. Accusation qu’il a formulée en mentionnant que son rival avait vécu les sept premières années de sa vie en Ouganda.
« Il ne comprend tout simplement pas la culture new-yorkaise, les valeurs new-yorkaises, ce que le 11-Septembre a signifié », a déclaré sur Fox News celui qui a démissionné du poste de gouverneur de New York après avoir été accusé de harcèlement sexuel par 13 femmes.
« Andrew Cuomo tente de faire le plein de votes chez les électeurs plus âgés et modérés, y compris chez les juifs, où les jeunes lui sont défavorables. Et il mise sur l’appui de milliardaires, dont l’ex-maire de New York Michael Bloomberg, qui financent à coups de millions de dollars des pubs anti-Mamdani.
« Il n’a cependant pas convaincu Al Sharpton, pilier de la communauté noire de Harlem. Le pasteur et militant a dénoncé samedi « l’islamophobie odieuse qui a été utilisée dans cette campagne ».
« Il s’adressait alors à une foule enthousiaste réunie dans le quartier général de son organisation, où Zohran Mamdani a commencé la journée. S’y trouvait également Elouise Patterson, une avocate de 60 ans, qui a illustré un phénomène intergénérationnel qui pourrait aider Zohran Mamdani mardi.
« Mon fils cadet, qui est en deuxième année de collège, m’a parlé de Mamdani en mars ou avril, a-t-elle déclaré. Il m’a dit qu’il était passionnant, intéressant, progressiste, et que je devrais m’intéresser à lui. C’est ce que j’ai fait. Je pense que nous devons avoir foi en la jeunesse. »
Chronique intitulée
Le monde entier regarde New York
Richard Hétu
collaboration spéciale
La Presse
le 3 novembre 2025

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