02 décembre 2025

Quand les plus puissants sont au-dessus des lois


« Nous assistons, impuissants, à une normalisation troublante : celle de grands dirigeants du monde entier qui s’échangent des demandes de pardon comme on se passe le sel à table. Sans égard à la gravité des accusations qui pèsent sur eux, sans expression aucune de remords, sans admission de culpabilité, ils demandent et obtiennent qu’on efface leur faute et attaquent de plein fouet le principe sacré de l’état de droit selon lequel nul n’est au-dessus des lois. Ils contribuent à créer un système de justice où les puissants s’affranchissent des lois qu’ils imposent aux citoyens dits ordinaires.

« Deux cas récents aussi spectaculaires que révoltants illustrent cette dérive : d’abord, la demande de grâce présidentielle qu’a formulée le premier ministre d’Israël, Benjamin Nétanyahou, et ensuite, le pardon qu’entend accorder le président amémiricain, Donald Trump à l’ex-président hondurien Juan Orlando Hernández, condamné pour trafic de drogue. Dans ces deux affaires se dessine le mépris le plus complet pour des principes de justice qui devraient s’appliquer à tous.


« Le premier ministre d’Israël, Benjamin Nétanyahou, est le premier dirigeant de l’État hébreu en fonction à faire face à un procès criminel. Il est accusé de fraude, d’abus de confiance et de corruption active dans trois affaires distinctes. Dans un dossier, on l’accuse d’avoir accepté des cadeaux somptueux de la part de milliardaires. Une autre affaire porte sur des tentatives de manipulation médiatique avec le propriétaire d’un grand quotidien. Et le troisième dossier, sans doute le plus délicat, concerne une accusation de corruption active, où le premier ministre aurait accordé des avantages réglementaires d’une valeur de plus de 250 millions de dollars à un magnat des télécommunications en échange d’une couverture médiatique favorable. Nétanyahou, qui a toujours clamé son innocence, risque jusqu’à 10 ans de prison.


« Mais dimanche, M. Nétanyahou a formellement demandé une grâce présidentielle au président israélien, Isaac Herzog. Il a justifié sa demande par « l’intérêt public », plaidant le fait que la suite du procès, commencé en 2020, « déchire le pays de l’intérieur » et « attise des divisions féroces ». Il est ironique — ou scandaleux, c’est selon — de constater qu’il ne lui vient pas à l’esprit que sa gestion inhumaine et cruelle du conflit avec le Hamas, ayant principalement pris pour cibles des civils palestiniens, pourrait compter comme un élément de division de la population, ce qu’elle est pourtant.


« Cette demande s’inscrit dans une campagne orchestrée, dans laquelle le président Trump a joué un rôle de premier plan. Début novembre, il a envoyé une lettre au président Herzog, réclamant une grâce complète pour Nétanyahou. L’opposition israélienne a réagi à cette requête avec indignation, en plus d’Israéliens descendus dans la rue pour demander qu’on ne porte pas le coup de grâce à l’état de droit.


« Si le cas Nétanyahou suscite l’indignation en Israël, celui de Juan Orlando Hernández provoque la stupéfaction aux États-Unis. Vendredi dernier, M. Trump a annoncé qu’il comptait accorder une grâce complète à l’ancien président du Honduras, condamné en juin 2024 à 45 ans de prison pour trafic de drogue.  Hernández, qui a dirigé le Honduras pendant huit ans, a été reconnu coupable d’avoir conspiré avec des cartels de la drogue pour importer plus de 400 tonnes de cocaïne vers les États-Unis. Les procureurs ont démontré qu’il avait reçu des millions de dollars en pots-de-vin utilisés pour alimenter son ascension politique.


« L’annonce de Trump survient alors même que son gouvernement multiplie les frappes militaires contre des bateaux soupçonnés de transporter de la drogue dans les Caraïbes, faisant des morts. L’affaire fait polémique aux États-Unis. D’un côté, Trump se présente comme le champion de la guerre contre les narcotrafiquants ; de l’autre, il gracie un dirigeant condamné pour avoir transformé son pays en narco-État. Ce faisant, il s’immisce directement dans les affaires politiques du pays, qui sort tout juste d’une présidentielle. Le candidat de la droite, Nasry Asfura, favori de Trump, aurait remporté les élections par une faible majorité.

 

« N’oublions pas que le président Trump réserve au Canada un traitement condescendant sous la fausse excuse d’entrée « massive » de fentanyl par nos frontières, alors que les données officielles démontrent que seul 02 % du total du trafic a été saisi à la frontière canado-américaine. Trump fait donc pression sur le Canada avec de fausses accusations concernant le fentanyl, tout en graciant un trafiquant de drogue notoire dont le réseau a contribué à l’épidémie d’opioïdes qui ravage les États-Unis.


« La logique de cette position échappe à toute compréhension rationnelle, à moins qu’on ne l’examine sous l’angle des intérêts politiques et financiers. Le pardon de Hernández s’inscrit dans une série de grâces controversées qui révèlent un schéma troublant : la récompense de la loyauté politique et des relations financières, sans égard à la gravité des crimes. Ce système d’échanges de grâces entre puissants contribue sans contredit à l’effritement de la démocratie. »


Éditorial intitulé

Quand les puissants s’échangent des grâces

Marie-Andrée Chouinard

Le Devoir

le 2 décembre 2025

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