« Dans la « Stratégie de sécurité nationale » des États-Unis (NSS selon le sigle anglais), mise en ligne le 4 décembre au soir, Donald Trump affirme que l’Europe fait « face à la disparition de sa civilisation ».
« Il a raison, mais se trompe sur l’identité de la menace : ce ne sont ni les immigrants, ni le wokisme, ni les institutions de l’Union européenne (UE) — avec leurs défauts, leurs excès et leurs incohérences — qui mettent aujourd’hui en péril le Vieux Continent.
« Il s’agit de Trump lui-même et de Vladimir Poutine, de plus en plus ouvertement unis pour prendre l’Europe en étau, lui « faire la peau », la faire sombrer dans la division et l’insignifiance.
« De jour en jour, la trahison de Trump envers l’Ukraine, son hostilité envers l’OTAN et l’UE, sa complicité avec le Kremlin, deviennent plus criantes. La « Stratégie de sécurité », version Trump II, est un acte de divorce entre les États-Unis et le Vieux Continent, et d’allégeance envers Moscou. Un changement historique dans la géopolitique mondiale.
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« En février dernier, le vice-président Vance, venu en Europe pour la Conférence de Munich sur la sécurité, avait averti. Selon lui, les problèmes de l’Europe en 2025, ce ne sont pas les missiles de Poutine, la guerre hybride des drones, les bombardements contre les civils ukrainiens ou l’évolution du front du Donbass.
« Le problème, c’est l’Europe telle qu’elle est, avec son idéalisme zélé de l’après-guerre, qui a donné naissance à un protofédéralisme libéral, voire gauchiste (les deux termes se confondent en anglais américain), et à un envahissement des souverainetés nationales. Le Vieux Continent serait ravagé par le wokisme, une réglementation tatillonne, l’immigration qui dissout les valeurs et l’identité des nations.
« Pour mémoire et au sujet de « l’envahissement » par Bruxelles-la-maléfique : l’UE prélève et dépense environ 1 % du PIB des 27 pays membres, alors que les dépenses publiques des États souverains et des États fédérés (Québec, Länder allemands) représentent régulièrement 20 %, 30 %, voire 40 %, du PIB national ou régional.
« L’UE fait 5,5 % de la population mondiale, produit 18 % du PIB mondial et représente 50 % des dépenses de protection sociale (OCDE). Il n’est pas sûr que ces chiffres soient soutenables à terme — surtout le troisième. Mais là où certains voient une forme de « décadence », d’autres voient un héritage à défendre.
« Pour autant, certaines des critiques formulées dans le document ne sont pas sans fondement.
« On peut raisonnablement discuter du fait, par exemple, que « les politiques migratoires transforment le continent et engendrent des conflits », ou encore que « l’effondrement de la natalité entraîne une perte d’identité nationale et de confiance en soi ».
« Mais la « solution » de la NSS reprend les arguments des partis de la droite nationaliste en Europe. Le mouvement MAGA, le président et son vice-président ont explicitement défendu les plus radicaux de ces groupes lors d’élections en Pologne, en Roumanie, au Royaume-Uni ou en Allemagne. Pour ne pas sombrer, l’Europe « doit corriger sa trajectoire actuelle » (sic) en suivant leur voie.
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« Voilà un autre domaine stratégique où les objectifs de Washington et de Moscou convergent : le soutien à ces tendances, par l’entremise des « cinquièmes colonnes », des financements, des déclarations publiques ou des sabotages.
« On savait depuis quelques années déjà que des éléments comme l’AfD (parti prorusse qui comporte en son sein des néonazis) étaient les « petits favoris » et les pions utiles de Moscou pour obtenir des inflexions favorables dans la politique étrangère d’États comme l’Allemagne.
« Ce qu’il y a de nouveau en 2025, c’est que le gouvernement américain soutient désormais, de façon officielle, précisément les mêmes partis.
« La coordination Washington-Moscou va plus loin. Le jeudi 4 décembre, le secrétaire américain au Commerce annonce la levée des sanctions américaines contre la pétrolière russe Lukoil. Le 5, Washington tente d’empêcher l’Europe de mobiliser les avoirs russes gelés en Europe pour le soutien à l’Ukraine. Et le 7, le Kremlin salue la NSS de Trump, la jugeant « largement conforme » aux exigences russes.
« Poutine jubile. Trump avec son gendre Jared Kushner et son ami Steve Witkoff sont de plus en plus ses « associés ». Ils se moquent éperdument de l’Ukraine. Pour Trump et la Famiglia, Volodymyr Zelensky est un homme mort. Ils l’ignorent autant qu’ils le peuvent. Leurs expressions, les mots qu’ils emploient, montrent qu’ils partagent le point de vue du tsar : Zelensky doit partir, l’Ukraine doit céder et l’échiquier géopolitique doit être redessiné au profit du plus fort.
« Dans cette optique, Poutine ne doit pas être puni, mais bien récompensé pour l’invasion de l’Ukraine et les atrocités qui ont suivi. Pendant ce temps, la Famiglia est obsédée par le développement de ses affaires. On se frotte les mains à l’idée de nouveaux profits, de nouveaux oléoducs, de nouvelles concessions.
« Dans cet univers transactionnel, les Européens ne sont pas des partenaires, mais des obstacles.
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« Les dirigeants européens sont en train de sortir du déni. Friedrich Merz, Emmanuel Macron et Keir Starmer ont tous mis en garde Zelensky, reconnaissant que Trump semble déterminé à les tromper. Même le secrétaire de l’OTAN, Mark Rutte — ce Rutte obséquieux qui appelait Trump « Daddy » —, semble enfin saisir la gravité de la situation.
« Dans une conversation publiée vendredi par Der Spiegel, le président finlandais, Alexander Stubb, a décrit la situation avec une clarté brutale. « Nous ne pouvons pas laisser l’Ukraine et Volodymyr seuls avec ces gens », a-t-il averti. Rutte, selon la transcription, a acquiescé : « Je suis d’accord avec Alexander : nous devons protéger Volodymyr. »
« Sinon, comme dans un film de série B américain, l’Ukraine et l’Europe risquent de finir comme le malheureux pris en étau entre deux brutes : l’une des deux tient la victime, tandis que l’autre frappe.»
Chronique intitulée
Faire la peau à l’Europe
François Brousseau
Le Devoir
le 8 décembre 2025

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