06 décembre 2025

Canada - Le nouveau ministre identitaire


 « C’est quand même tout un changement, ne pensez-vous pas, cette idée d’avoir un ministre de l’Identité canadienne ? On doit la chose à Mark Carney, qui, à son arrivée, a décidé que c’en était terminé de l’époque post-identitaire et post-nationale de son prédécesseur Justin Trudeau. Steven Guilbeault a inauguré la chose en mars dernier, et on nous a bien expliqué combien il était important d’adjoindre la responsabilité de « la Nature » à celles du Patrimoine et de la Culture, car dame Nature canadienne fait partie de notre ADN.

« Bon, finalement, on vient d’en décider autrement, la Nature ayant été renvoyée à l’Environnement et à sa ministre, dont la tâche est maintenant de mesurer l’ampleur des dommages qui lui seront infligés par les nouvelles politiques pétrolières du gouvernement.


« Marc Miller est donc le nouveau ministre de notre identité nationale, la nature en moins. Dans une question méchante et sournoise, le journaliste et animateur de Midi info, Alec Castonguay, lui a demandé cette semaine de définir l’identité canadienne. Pris complètement au dépourvu, et on le comprend fort bien, le ministre a répondu, dans l’ordre : les grands espaces, l’amour de la liberté, une belle démocratie, le respect pour les peuples autochtones, un beau pays juxtaposé aux États-Unis, un grand pays du Nord et l’amour de la famille.


« Bon, l’idée qu’il y ait, en plus des premiers habitants, deux peuples fondateurs, deux langues officielles et une histoire singulière lui serait sûrement venue à l’esprit si on lui avait donné la question à l’avance. Une chose qui ne lui serait pas venue naturellement : la laïcité. D’autant que, il y a peu, dans un discours, Mark Carney a déclaré que « les valeurs musulmanes sont des valeurs canadiennes ». Toutes ? Y compris l’inégalité entre les sexes ? Cela n’a pas été précisé. Remarquez, il aurait parlé des valeurs chrétiennes, juives ou de Zarathoustra, cela m’aurait fait également tiquer. M. Miller a d’ailleurs une opinion sur les lois québécoises portant sur la laïcité. Il a dit de la loi 21 qu’elle était « lâche ». Dont acte.


« Heureusement, il a aussi déclaré au journaliste Castonguay avoir « vraiment horreur » des « chicanes sur la place publique ». Celui qui avait qualifié François Legault de « mangeux de puck » dans les relations canado-américaines (mais pas Doug Ford, je le souligne) ne fait, explique-t-il, que se défendre. « J’ai horreur d’être le punching bag d’un gouvernement provincial, parfois, qui se fait taper dessus sans riposter. »


« Je ne lui prévois pas des jours calmes. Désormais ministre responsable des Langues officielles, donc pour moitié du français, il a fait fort dès le premier jour. Répondant à une question portant sur un hypothétique déclin du français au Québec, il a fait cet aveu : « Comme Québécois, je suis assez tanné de ce débat qui est généralement identitaire et électoraliste. »


« Bon. D’abord, ne doit-il pas intégrer le fait que « identitaire » n’est pas (n’est plus) un gros mot dans la capitale fédérale ? « Identité » est dans le libellé de son titre. Un ministre de l’Identité opposé à l’identitaire, cela fait un peu désordre. Ou alors qu’il nous donne la grille d’analyse : l’identité canadienne c’est bon, les autres identités sont mauvaises. Sauf celle des Autochtones, bien sûr. Les Noirs, aussi, n’oublions pas. Et les identités LGBTQ+ et affiliées. Pour faire court : elles sont toutes bonnes, sauf celles des Québécois et des Hells Angels.


« Ensuite, il est tanné que le débat sur la langue soit politisé. On s’excuse de le lui rappeler, mais le père de son ami Justin Trudeau en a fait le combat politique de sa vie. Imposer une loi sur les langues officielles à tout le Canada, puis imposer au Québec une Constitution qui réduisait ses pouvoirs linguistiques. Si ce n’est pas de la politique, on ne sait pas ce que c’est. La protection du français est exactement aussi politique que la lutte pour l’environnement, et pour exactement les mêmes raisons. Sans action politique, les forces du marché vont, au Québec, engloutir le français et, d’une mer à l’autre, dégrader l’environnement.


« Les divagations du nouveau ministre de l’Identité sur l’identitaire et la politisation de la langue ne sont pas ses premières incursions au pays des licornes. Son passage à l’Immigration fut son moment de gloire. Alors que l’explosion démographique organisée par son gouvernement (contre l’avis de ses propres experts) exacerbait de façon historique la crise du logement,  il nous a servis l’inoubliable : les immigrants vont construire des maisons. Il a dénoncé la « mauvaise foi » de ceux qui estimaient notre capacité d’accueil excédée, car, selon lui, « le Canada est capable d’accueillir tout ce monde, qu’il s’agisse de logement, d’accueil, d’intégration ou de francisation ». Justin Trudeau allait ensuite s’excuser publiquement d’avoir pareillement erré.


« Oui mais, le déclin. C’est tannant, je sais. Mais à qui la faute ? Le nombre, le nombre, le nombre. Selon les calculs du Commissaire à la langue française, de 2021 à 2023, la population non permanente qui ne connaissait pas le français a pratiquement triplé, contribuant à porter à 7,2 % (par rapport à 5,6 % en 2016) la proportion de la population québécoise incapable de soutenir une conversation en français. À quoi doit-on cette dégradation soudaine ? À l’explosion démographique provoquée principalement par Ottawa. Marc Miller est donc un des principaux acteurs de l’aggravation récente du déclin du français au Québec.


« Pour le péquiste madelinot Joël Arseneau, nommer Miller à la langue équivaut à choisir un climatosceptique comme ministre de l’Environnement. Il est gentil. Je dirais qu’il s’agit de désigner, comme chef des pompiers, un pyromane.»


Chronique intitulée

Notre nouveau ministre identitaire

Jean-François Lisée

Le Devoir

le 6 décembre 2025

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